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24 janv. 2018

RIEN NE SE PASSE COMME PRÉVU, ALORS…

Le brouillard de la guerre
Vision dérangeante que celle de la campagne de Russie de Napoléon, proposée par Léon Tolstoï, dans Guerre et Paix : 
« A la suite de ces rapports, faux par la force même des circonstances, Napoléon faisait des dispositions qui, si elles n’avaient pas déjà été prises par d’autres d’une manière plus opportune, auraient été inexécutables. Les maréchaux et les généraux, plus rapprochés que lui du champ de bataille et ne s’exposant aux balles que de temps à autre, prenaient leurs mesures sans en référer à Napoléon, dirigeaient le feu, faisaient avancer la cavalerie d’un côté et courir l’infanterie d’un autre. Mais leurs ordres n’étaient le plus souvent exécutés qu’à moitié, de travers ou pas du tout. »
« Le rapport des forces de deux armées, reste toujours inconnu. Crois-moi : si le résultat dépendait toujours des ordres donnés par les états-majors, j’y serais resté, et j’aurais donné des ordres tout comme les autres ; mais, au lieu de cela, tu le vois, j’ai l’honneur de servir avec ces messieurs, de commander un régiment, et je suis persuadé que la journée de demain dépendra plutôt de nous que d’eux ! ».
Bien, bien loin des visions classiques de la stratégie !
L’issue d’une guerre ne serait-elle que le fruit des actions locales? Le rôle d’un général en chef comme Napoléon ne serait-il qu’anecdotique, et serait-il seulement de recueillir in fine les lauriers de la victoire ou la honte de la défaite ? Un usurpateur en quelque sorte…
Non, bien sûr !
Mais il n’est pas d’élaborer une stratégie théorique détaillée et de se raidir dans la volonté de la mettre en œuvre telle quelle. 
Trop de hasards et d’incertitudes pour cela, trop de « brouillard de la guerre » pour reprendre l’expression de Carl Von Clausewitz : rien ne se passera comme prévu et la réalité vécue sera bien éloignée de la vision théorique initiale.
Moins de plans stratégiques qui prévoient tout à l’avance, moins de plans d’actions prévisionnels ciselés dans la moindre virgule, moins de tableurs Excel qui prétendent modéliser le futur.
Davantage de décentralisation, davantage de responsabilisation des acteurs de terrain, davantage de confiance dans leurs observations et leurs décisions !

16 févr. 2017

« IL N’Y AURA PAS DE KRACH EN 2008 »

Difficile art de la prévision
Il est bon de parcourir les archives des journaux. Cela permet de voir que l’art de la prévision – même venant de ceux qui sont censés être les mieux informés – est un art difficile.
Voici 4 commentaires faits par l’OCDE, la Deutsche Bank, le FMI et la Banque de France… juste avant que le krach de 2008 n’advienne.
Je les laisse bruts, tels quels. Chacun pourra en faire son commentaire personnel…

7 décembre 2007 : « Le ralentissement n'est pas tragique », selon l'OCDE
« La croissance des pays de l'Organisation ne devrait pas être trop touchée par la hausse des matières premières et la crise des « subprimes ». Le ralentissement de l'économie mondiale sera à son maximum au premier trimestre 2008. Selon les perspectives semestrielles publiées jeudi 6 décembre par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la croissance du produit intérieur brut (PIB) de ses pays membres passera de 2 % au dernier trimestre 2007 à 1,9 % au premier trimestre 2008, avant d'amorcer une remontée pour atteindre 2,5 % au premier trimestre 2009. »
2 janvier 2008 : David Naud, économiste à la Deutsche Bank « Il n'y aura pas de krach en 2008 »
« Avec les interventions des banques centrales, mi-2008, la crise et les désordres du marché monétaires devraient finalement s'estomper. (…) Aux États-Unis, l'embellie arrivera certainement mi-2008. En Europe la reprise prendra sans doute quelques mois de plus. En tout cas, il n'aura pas de krach cette année ! »
9 avril 2008 : L'économie américaine va connaître une "légère récession" en 2008, selon le FMI
« L'économie américaine connaîtra une légère récession en 2008, en raison des effets de synergie entre les cycles de l'immobilier et des marchés financiers, avant de ne se redresser que progressivement en 2009", affirme le Fonds dans ses perspectives économiques mondiales. Le produit intérieur brut (PIB) américain devrait ainsi croître de seulement 0,5 % en 2008 et de 0,6 % en 2009, ce qui représente une révision à la baisse de 1 point et 1,2 point respectivement par rapport aux prévisions de janvier. »
25 juin 2008 : Crise bancaire : pour Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, "il n'y a pas de deuxième vague"
« Il n'y a pas de deuxième vague : les pertes supplémentaires qu'annoncent les banques sont la conséquence mécanique de l'évolution des marchés. On est dans un cycle normal de provisionnement des risques, sans danger cette fois de contagion à d'autres secteurs du crédit bancaire. (…) L'exercice de transparence sera achevé d'ici au 30 juin, en France et dans tous les pays du G7. »

7 septembre 2008 : Freddie Mac et Fannie Mae mis sous tutelle gouvernementale
Le président de la Réserve fédérale américaine, Ben Bernanke, a affiché un soutien sans détour au plan de reprise. "Ces étapes nécessaires vont aider à renforcer le marché américain de l'immobilier et à promouvoir de la stabilité sur nos marchés financiers". 
16 septembre 2008 : La faillite de Lehman Brothers ébranle le système financier mondial
« Il s'agit d'un événement qui se produit une fois tous les cinquante ans, probablement une fois par siècle. Il n'y a aucun doute, je n'ai jamais rien vu de pareil (...) », a commenté Alan Greenspan, l'ancien président de la Réserve fédérale américaine (Fed), face à l'aggravation de la crise financière née aux États-Unis à l'été 2007.

18 janv. 2016

CIEL J’AI VU UN UVLI

Quand la réflexion sur les scénarios de sortie de crise fait appel aux OVNI revisités par Madame Irma.

« Finalement, on peut classer les scénarios de sortie de crise en 4 familles, disait un expert lors d'une conférence sur la sortie de crise de 2008. Ce sont :
  • U : D'abord une chute rapide, puis une récession qui dure quelques années et ensuite la reprise. Dans ce scénario, on devrait sortir progressivement de la crise au mieux à partir de 2011. Et rien ne dit que nous ayons déjà fini la chute…
  • V : Là, la chute rapide est suivie immédiatement du rebond. C'est le scenario avancé par le gouvernement. A noter une variante, le W. Dans ce cas, on peut enchainer des crises…
  • L : Moins « optimiste » celui-là. Un scénario, disons à la japonaise. Nous nous installons durablement dans la récession, sans perspective de reprise…
  • I : Le pire. Là, la chute est sans fin…
Maintenant quelles sont les probabilités de ces scénarios ? En faisant la synthèse des prévisions et discours actuels, j'arrive à 40% pour le U, 20% pour le V, 30% pour le L et 10% pour le I. » Silence dans la salle et il commente : « Oui mais je pense que les 10% du I sont un peu surestimés, je pencherais plutôt pour 5%. »

Résumons donc la démarche de cette « expert » dont je viens de refléter exactement les propos :
  1. On peut calculer la probabilité d'un scénario de sortie de crise.
  2. La méthode proposée est de faire la moyenne pondérée du nombre de fois où un scénario est proposé (est-ce seulement en nombre ou en tenant compte du « poids » de l'expert ?) pour trouver cette probabilité.
  3. In fine, on a le droit au feeling de changer une probabilité parce que l'on sent plus ou moins un scénario.
Donc finalement c'est une version revisitée des prévisions de Mme Irma. Voilà un candidat pour le césar du fromage de tête dont j'évoquais le lancement possible dans mon article d'hier (voir « A qui décerner le césar du fromage de tête »).
Et puis tout à coup la lumière m'est apparue : cet expert en mal de repères avait dû avoir une vision. Il suffisait de relier ces 4 lettres pour comprendre qu'il avait vu passer un UVLI, la version « économique » de nos OVNI, une soucoupe volante de la prévision, un extra-terrestre sauveur et visionnaire.

En poursuivant sa logique, on voit que les anglo-saxons sont beaucoup plus optimistes : eux, ils parlent d'UVO (qu'ils ont dérivé des UFO). Ils ont donc éliminés les deux scénarios les plus pessimistes – les L et I – pour le remplacer par le O.
Quel est la logique de ce O ?
Facile, il exprime simplement que tout est dans tout et réciproquement. Ou encore que plus cela change, plus c'est pareil. Une traduction du retour aux origines et de la boucle sans fin du temps.

D'un seul coup, je me suis réveillé de ma rêverie pour me rendre compte que « l'expert » s'était rassis depuis un bon moment et que ce n'était plus lui qui parlait, mais Edgar Morin.
« Si je prolonge les tendances actuelles, nous allons dans le mur et les probabilités de la crise sont catastrophiques.
Finalement, je ne vois qu'une raison essentielle d'espérer : la possibilité de l'improbable. Pourquoi l'improbable peut arriver ? Parce que les crises réveillent les capacités créatrices. »
La vision du cygne noir comme solution…
Alors j'ai eu un éclair : Edgar Morin venait génialement de balayer tous les calculs de probabilité et de trouver un nouveau scénario de sortie de crise, le scénario Z.
Z comme Zorro, le vengeur masqué qui arrive quand on ne l'attend pas, quand on n'y croît plus.
Ce scénario Z, celui de l'improbable et de l'inconnu, pourrait être effectivement le bon !

11 janv. 2016

ON EST VRAIMENT BIEN NOURRI DANS CETTE FERME !

Le futur est rarement le prolongement du passé

« Notre part de marché actuelle est de 16,2%. Au pire, l'année prochaine, elle sera au moins de 15%. » 
« Notre chiffre d'affaires de l'année dernière a été de 521 M€. Pour cette année, il sera au minimum de 500 M€. Cette prévision est d'autant plus prudente, que nous avons toujours progressé les 5 dernières années. »… 
Je pourrais multiplier les citations de ce type : difficile de comprendre que le futur ne sera pas « dans la tendance » du passé, que le pire est possible, que la rupture est toujours là, latente. Qu'une part de marché peut s'effondrer brutalement, qu'un chiffre d'affaires n'est jamais certain.

Et pourtant… 
Il a fallu la crise de 2008 pour rouvrir les yeux de certains stratèges.
C'est le syndrome de la dinde de Noël qui, en novembre, pense : « Cette ferme est vraiment géniale. La nourriture y est bonne et abondante, je peux dormir toute la journée si je veux. Le rêve, quoi. » 
Attention aux lendemains qui déchantent. 

Comme l'a écrit Nassim Nicholas Taieb dans le Cygne Noir : « Au cours des cinquante ans qui viennent de s'écouler, les dix jours les plus extrêmes sur les marchés financiers représentent la moitié des bénéfices. Dix jours sur cinquante ans. Et pendant ce temps, nous nous noyons dans les bavardages. » 

La crise de 2008 n'est pas un « accident ». Elle n'est qu'un « cygne noir » de plus…

4 janv. 2016

ON NE GAGNE PAS AU GO EN FAISANT DES PRÉVISIONS

Savoir se centrer sur ce que l'on fait
Arrêtons-nous pour regarder comment procède un bon joueur de go (qu'est-ce que le go ?).
Comme le damier est composé de 19 lignes et 19 colonnes, soit donc 361 intersections, et que chaque joueur a 180 pions, le nombre de combinaisons théoriquement possibles est considérable. L'incertitude est donc forte et cela fait bien sur du plaisir du jeu.
Que fait donc ce joueur ? Est-ce qu'il focalise son énergie sur le calcul de probabilités ? Essaie-t-il de limiter cette incertitude ? Cherche-t-il à modéliser les futurs possibles ?
Non. Il se focalise sur ce qu'il peut faire, sur les pions qu'il pose. Il a en tête un dessin qu'il va chercher à mettre en œuvre : ce dessin est une perspective qui oriente ses choix, mais ne constitue pas une forme précise ; viser ce dessin est son dessein. Pion après pion, il est préoccupé par ses degrés de liberté : il cherche à construire un ensemble le plus solide possible et le plus « résistant » à toute attaque.
Il ne se préoccupe pas vraiment de ce que fait son adversaire, ou, du moins, pas tant que cela ne vient pas interférer dans son propre dessein.
Souvent il ne gagnera que par l'effet et la puissance de la forme qu'il a dessinée.
Pourquoi ne pas faire de même en entreprise ? Pourquoi s'épuiser à vouloir prévoir l'évolution de son marché ? Pourquoi construire des tableaux excel avec de multiples « macro » (ces fameuses règles de calcul « automatiques » qui vont tout actualiser et tout relier), et, à partir de la situation actuelle, itérer pour produire un futur théorique et représentatif uniquement des hypothèses mises ?
Comment imaginer que l'on pourra obtenir une prévision fiable avec un damier est infini, un nombre de dimensions bien supérieur à 2, des acteurs fluctuants ? Prévoir le temps est un jeu d'enfants à côté !
Pourquoi ne pas se centrer sur ce que l'on veut faire – son dessein – et sur ce que l'on peut faire ? Pourquoi ne pas chercher « simplement » à se rapprocher de son objectif tout en renforçant la solidité de son entreprise face aux aléas, sa résilience ?
Et s'il faut fournir une prévision pour son marché – le monde financier vit encore dans l'illusion des prévisions –, ne pas y passer trop de temps…

28 oct. 2013

POURQUOI TANT DE DÉSORDRE, IMPRÉVISIBILITÉ ET IRRÉVERSIBILITÉ ?

Les poupées minérales : l’expansion imprévisible (2)
Voici donc la triple logique de construction des poupées russes, de leur multiplication et de leur extension : plus de désordre, plus d’imprévisibilité, plus d’irréversibilité.
Mais, permettez-moi de poser une question irrévérencieuse au génial architecte qui, selon d’aucuns, serait peut-être à l’origine de notre univers, et qui en aurait défini les règles et le mode de construction : pourquoi diable, tant de désordre et d’incertitude, et, pourquoi n’avons-nous pas droit à la gomme pour effacer ce qui nous dérange ? Pourquoi nous avoir condamnés à la pagaille, l’anarchie et l’aléatoire, et à vivre à jamais avec les conséquences de nos erreurs ? Est-il un démon voulant rendre notre temps passé sur Terre le plus compliqué possible ? Bref, pourquoi nous a-t-il pourri à ce point notre existence ?
Il n’est jamais bon de s’apitoyer sur son sort, et il est toujours préférable de chercher une raison positive à ce que l’on vit comme une contrainte. Aussi plutôt que de se défouler les nerfs sur un créateur lointain et potentiel, interrogeons-nous sur l’utilité éventuelle de l’entropie et du chaos, et de l’irréversibilité qui va avec.
A quoi peuvent-ils bien servir ? En fait, ils sont indispensables au bon fonctionnement de notre monde :
- Le désordre et les processus chaotiques apportent la résilience, c’est-à-dire la capacité à résister aux aléas et aux turbulences : avec eux, les systèmes sont localement instables et imprévisibles, mais structurellement stables. Sans eux, ils seraient cassants et fragiles. Dans les tempêtes, il vaut mieux être roseau que chêne : « Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici contre leurs coups épouvantables résisté sans courber le dos ; mais attendons la fin ». Mais ces mouvements sont si rapides que nous avons à tort une image de la permanence et de l’immobilité : nous voyons les structures globales, celles qui restent peu ou prou inchangées, mais ni leurs ondulations, ni les trajectoires erratiques de toutes les particules qui les composent.
- L’irréversibilité permet la synchronicité des actions et la vie en commun. Imaginez que chacun d’entre nous puisse constamment revenir en arrière et changer un des paramètres. Comme il y a fort à parier qu’aucun de nous ne voudrait les mêmes modifications, notre univers serait instable, et nous n’aurions aucun présent en commun. Résilience et irréversibilité sont liées.
Donc si désordre, incertitude et irréversibilité sont en première analyse sources de souffrances et de complications, ils sont surtout indispensables à l’existence même de notre univers. Apprenons donc à faire avec.
(extrait des Radeaux de feu)

19 juin 2013

ARRÊTONS DE CROIRE LES BALIVERNES DES ÉCONOMISTES, NOS SORCIERS MODERNES

Affirmer à l’avance que l’on va se tromper, n’est pas avoir raison
 A écouter les économistes, il est normal qu’ils se trompent. La plupart revendiquent même ceci comme la preuve de leur sérieux et de leur bonne foi.
Il est vrai que, vu le décalage constant qu’il y a entre leurs prévisions et la réalité, et leur incapacité à construire des théories explicatrices autrement qu’a posteriori, il était vital pour eux, d’intégrer l’erreur comme faisant parti de ce qu’ils appellent encore une science.
Un peu comme si un élève, conscient de son incapacité à fournir les bonnes réponses, avait prévenu son professeur que la plupart de ses devoirs seraient faux, et que, puisqu’il l’avait annoncé à l’avance, il devait avoir à chaque fois la meilleure note : il ne se trompait plus, puisqu’il savait que ses réponses n’étaient pas bonnes. Il avait donc raison, et son évaluateur devait en tenir compte.
Les économistes font de même : les crises sont cycliques et imprévisibles, et donc toutes leurs théories sont fausses… à part celle qui affirme que précisément leurs théories le sont… donc ils ont raison. CQFD !
Et le plus étonnant, c’est que tout le monde, ou presque, continue à les croire et les écouter. Pourtant aucun élève cherchant à appliquer la même tactique n’obtiendrait de bonnes notes, non ?
Alors pourquoi donc n’écoutons-nous donc pas plus quelqu’un comme Daniel Kahneman qui a longuement et en détail, expliqué pourquoi la science économique n’en était pas une, essentiellement parce qu’elle traite d’êtres théoriques les « Econs » alors que nous sommes des « Humans » (1) ? Pourquoi lui avoir donné un prix Nobel d’économie en 2002 ? Pour se donner bonne conscience, et surtout passer aux oubliettes tout ce qu’il dit ?
Et si jamais, vous pensez que j’exagère, pouvez-vous alors m’expliquer pourquoi nous avons encore des crises ? Et comment se fait-il que les économistes parlent sans cesse du taux de croissance, sans remarquer que nous sommes incapables de le connaître, puisqu’il est le taux de variation du PIB, et que nous ne savons pas réellement le mesurer précisément ?  PIB qui d’ailleurs ne mesure pas vraiment l’activité d’un pays…
Arrêtons donc de croire ces grands prêtres modernes qui ne comprennent pas plus ce qui se passe, que les sorciers de l’Antiquité ne connaissaient comment fonctionnait le corps humain.
Comme nous sommes devenus modernes, ne les brûlons pas, ignorons les simplement, et admettons que ce n’est pas par la mathématisation du monde que nous progresserons dans la compréhension de ce qui advient…

(1) Voir notamment son dernier livre « Thinking Fast and Slow » et la série d’articles que je lui ai consacrés

20 mars 2013

L’INCONSCIENCE EST UN DES MOTEURS DU CAPITALISME !

A la découverte de « Thinking, Fast and Slow » de Daniel Kahneman (11)
Troisième et dernier volet sur notre propension à reconstruire le passé, à avoir l’illusion de la validité… bref à nous tromper sur notre capacité à comprendre et prévoir : comment ce défaut est-il un des moteurs de la société actuelle et du capitalisme ?
Selon les travaux menés par Daniel Kahneman, sans notre cécité par rapport au futur et notre optimisme sur nos propres capacités, aucun investissement ne serait réalisé, aucune acquisition faite, aucune entreprise créée :
« La prise de risque optimiste des chefs d'entreprise contribue certainement au dynamisme d'une société capitaliste, même si la plupart des preneurs de risque subissent des déceptions. (…)
Bien souvent, j'ai posé cette question à des fondateurs et des membres de start-up innovantes : dans quelle mesure vos résultats dépendront-ils de ce que vous faites dans votre entreprise ? Une question manifestement facile. La réponse vient rapidement et dans mon petit échantillon, elle n'a jamais été inférieure à 80 %. Même quand ils ne sont pas sûrs de réussir, ces gens audacieux estiment avoir leur sort presque entièrement entre leurs mains. Ils ont certainement tort. Le résultat d'une start-up dépend autant des performances de ses concurrents et des changements sur le marché que de ses propres efforts. (…)
Les directeurs financiers étaient beaucoup trop confiants dans leur capacité à prévoir le marché. L'excès de confiance est une autre manifestation de COVERA(1): quand nous estimons une quantité, nous nous appuyons sur les informations qui nous viennent à l'esprit et nous bâtissons une histoire cohérente où cette estimation trouve son sens. (…) Un directeur financier qui informe ses collègues qu'il y a « de bonnes chances que les retours de S&P se situent entre –10 % et + 30 % » peut s'attendre à quitter la pièce sous les quolibets. Ce large intervalle de confiance est un aveu d'ignorance, ce qui est socialement inacceptable de la part de quelqu'un qui est payé pour s'y connaître dans le domaine financier. Même s'ils savaient à quel point ils en savent peu, les responsables seraient pénalisés s'ils l'admettaient. »
D’ailleurs à l’inverse si nous étions capables de prévoir ce qui allait arriver, aucune entreprise ne créerait de la valeur durablement, car progressivement toutes les entreprises s’aligneraient sur la stratégie gagnante. C’est bien le fait que ce soit le hasard et l’incertitude qui régissent notre qui est le garant de nos libertés, de l’innovation et de la créativité.
Faut-il encore l’admettre, et ne pas tomber dans le travers de Jean-Paul Sartre qui lui avait fait écrire : « Je préfère le désespoir à l’incertitude ». Non l’incertitude, et notre incapacité à savoir à l’avance ce qui va advenir, sont la source de l’espoir.
(Paru le 6 décembre 2012)

10 déc. 2012

NOUS AVONS PEUR DE PERDRE, ET SURTOUT DE REGRETTER CE QUE NOUS AURIONS PU GAGNER !

A la découverte de « Thinking, Fast and Slow » de Daniel Kahneman (12)
Après notre difficulté à prendre en compte le hasard, et notre propension à reconstruire le passé, voici le troisième thème : notre aversion à la perte. C’est cette découverte qui est à l’origine de ce que Daniel Kahneman a appelé la théorie des perspectives et qui, pour l’essentiel, lui a valu d’obtenir le Nobel d’Économie en 2002.
De quoi s’agit-il ? Une fois encore d’une idée simple : nous avons plus peur de perdre 1 € que d’en gagner 1 €. Cette observation démontrée par de nombreuses expériences est lourde de conséquences, car, à elle seule, elle remet en cause les fondements des théories classiques économiques : en effet, celles-ci, implicitement ou explicitement, reposent sur l’idée que « (1) + (-1) = 0 » et font l’hypothèse que le comportement humain cherche à maximiser la somme de ses gains et de ses pertes.
Dans son dernier livre, Daniel Kahneman revient sur ce point fondamental :
« Le « taux d'aversion à la perte » a été estimé dans le cadre de plusieurs expériences et se situe généralement entre 1,5 et 2,5. (…) Il y a des risques que vous n'accepterez pas, peu importe les millions que vous pourriez gagner si vous avez de la chance. (…) La douleur de perdre 900 euros représente plus de 90 % de la douleur causée par la perte de 1  000 euros. Ces deux idées sont l'essence même de la théorie des perspectives. »
Notre aversion à la perte se complique avec la notion de regret : face à une décision à prendre, nous choisirons non pas seulement celle qui maximisera le rapport entre gain et perte, mais celle qui aussi ne risquera pas de déclencher de trop grands regrets. Voici un exemple tiré du livre :
« Voici deux problèmes :
- Problème 6 : choisissez entre 90 % de chances de gagner 1 million d'euros OU 50 euros avec certitude.
- Problème 7 : choisissez entre 90 % de chances de gagner 1 million d'euros OU 150 000 avec certitude.
Comparez, dans chacun des deux cas, la douleur anticipée si vous décidez de parier mais que vous ne gagnez pas. Dans les deux cas, l'échec est une déception, mais la douleur potentielle est aggravée dans le problème 7 par le fait que vous savez que si vous choisissez de parier et que vous perdez, vous regretterez la « cupidité » de votre décision qui vous a coûté 150  000 euros. Avec le regret, la perception du résultat dépend d'une option que vous auriez pu choisir, mais que vous avez finalement repoussée. »
(à suivre)

6 déc. 2012

L’INCONSCIENCE EST UN DES MOTEURS DU CAPITALISME !

A la découverte de « Thinking, Fast and Slow » de Daniel Kahneman (11)
Troisième et dernier volet sur notre propension à reconstruire le passé, à avoir l’illusion de la validité… bref à nous tromper sur notre capacité à comprendre et prévoir : comment ce défaut est-il un des moteurs de la société actuelle et du capitalisme ?
Selon les travaux menés par Daniel Kahneman, sans notre cécité par rapport au futur et notre optimisme sur nos propres capacités, aucun investissement ne serait réalisé, aucune acquisition faite, aucune entreprise créée :
« La prise de risque optimiste des chefs d'entreprise contribue certainement au dynamisme d'une société capitaliste, même si la plupart des preneurs de risque subissent des déceptions. (…)
Bien souvent, j'ai posé cette question à des fondateurs et des membres de start-up innovantes : dans quelle mesure vos résultats dépendront-ils de ce que vous faites dans votre entreprise ? Une question manifestement facile. La réponse vient rapidement et dans mon petit échantillon, elle n'a jamais été inférieure à 80 %. Même quand ils ne sont pas sûrs de réussir, ces gens audacieux estiment avoir leur sort presque entièrement entre leurs mains. Ils ont certainement tort. Le résultat d'une start-up dépend autant des performances de ses concurrents et des changements sur le marché que de ses propres efforts. (…)
Les directeurs financiers étaient beaucoup trop confiants dans leur capacité à prévoir le marché. L'excès de confiance est une autre manifestation de COVERA (1): quand nous estimons une quantité, nous nous appuyons sur les informations qui nous viennent à l'esprit et nous bâtissons une histoire cohérente où cette estimation trouve son sens. (…) Un directeur financier qui informe ses collègues qu'il y a « de bonnes chances que les retours de S&P se situent entre –10 % et + 30 % » peut s'attendre à quitter la pièce sous les quolibets. Ce large intervalle de confiance est un aveu d'ignorance, ce qui est socialement inacceptable de la part de quelqu'un qui est payé pour s'y connaître dans le domaine financier. Même s'ils savaient à quel point ils en savent peu, les responsables seraient pénalisés s'ils l'admettaient. »
D’ailleurs à l’inverse si nous étions capables de prévoir ce qui allait arriver, aucune entreprise ne créerait de la valeur durablement, car progressivement toutes les entreprises s’aligneraient sur la stratégie gagnante. C’est bien le fait que ce soit le hasard et l’incertitude qui régissent notre qui est le garant de nos libertés, de l’innovation et de la créativité.
Faut-il encore l’admettre, et ne pas tomber dans le travers de Jean-Paul Sartre qui lui avait fait écrire : « Je préfère le désespoir à l’incertitude ». Non l’incertitude, et notre incapacité à savoir à l’avance ce qui va advenir, sont la source de l’espoir.
(à suivre)

(1) « COVERA = Ce qu’on voit et rien d’autre » traduction de l’expression originale de Daniel Kahneman : « WYSIATI : What you see is all there is »

5 déc. 2012

AFFIRMER QUE LA CROISSANCE SE REDRESSE À PARTIR D'UNE VARIATION DE 0,2% N'A AUCUN SENS !

Compte-tenu de l'incertitude sur la mesure du PIB, il serait temps d'arrêter de dire n'importe quoi à partir d'une évolution non significative
Comment se calcule un taux de croissance : il est la dérivée du Produit intérieur brut (PIB), c'est-à-dire qu'il mesure sa vitesse annuelle d'évolution.
Première remarque, ceci suppose que le PIB mesuré soit bien représentatif de l'activité réelle du pays, mais admettons...
Supposons que le PIB est mesuré à 1% près, ce qui serait déjà une performance statistique exceptionnelle. Ceci veut dire que, si l'on affirme que le PIB de l'année N-1 est de 100, on ne sait pas quelle est sa valeur réelle entre 99 et 101.
Imaginons que les calculs montrent une croissance de 1%, c'est-à-dire un nouveau PIB pour l'année N de 101. De même, en fait, on ne sait pas où il se situe entre 100 et 102.
Comme le monde est incertain, et les processus qui le régissent sont chaotiques (au sens mathématique du terme), on ne peut pas affirmer que l'on se trompe toujours dans le même sens : on a pu surestimer le PIB en année N-1, et le sous-estimer en année N.
Donc dans cette situation, l'incertitude qui porte sur le taux de croissance est la suivante : le PIB a pu passer de 99 à 102 (surestimation en année N-1 et sous-estimation en année N), soit un taux de croissance de 3%, ou de 101 à 100 ((sous-estimation en année N-1 et surestimation en année N) soit un taux de -1%.
Ainsi si l'on mesure le PIB à 1% près et que l'on constate un taux de croissance de 1%, on ne peut pas savoir où se situe le taux de croissance entre -1 et +3% : le taux d'incertitude est de +/- 2 % !
Si jamais le PIB était mesuré à 0,1% près, le même raisonnement montre qu'un taux de croissance de 1% serait en fait situé entre 0,8 et 1,2% (1). Or qui pourrait sérieusement imaginer que l'on est précis à 0,1% sur le PIB ? Déjà un taux d'incertitude de 1% est bien optimiste...
Il serait donc temps d'arrêter de tirer des conclusions à partir de chiffres qui ne veulent rien dire : trouver pour la France un taux de croissance de 0,2% ne nous fournit aucune information sur l'évolution de la conjoncture, car la variation est bien trop faible !
Mon propos n’est évidemment pas de dire que l’on devrait se désintéresser de savoir comment va l’économie de notre pays, et si elle est ou non en croissance, mais que la variation observée ne veut rien dire.
Ne serait-il pas temps de s’en rendre compte, et d’arrêter de – excusez la brutalité de mon propos – dire, et donc de faire collectivement n’importe quoi ? Il y a urgence…

(1) Le PIB initial est toujours entre 99,9 et 100,1, et après croissance cette fois entre 101,1 et 100,9. Le taux de croissance est donc entre (101,1/99,9 – 1) et (100,9/100,1 – 1), soit entre 1,2 et 0,8%.