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4 nov. 2013

L’ENTREPRISE ET LES POSSIBLES

Les poupées minérales : l’expansion imprévisible (4)
Deuxième commentaire sur l’entreprise : Le possible
« La vérité, c’est que j’avais une idée, une idée pas fameuse, mais qui a eu quand même d’utiles conséquences, comme il arrive parfois aux plus mauvaises idées. »  (1)
Ce qui apparaît comme du désordre, n’est que la multiplication des chemins possibles, c’est-à-dire de toutes les opportunités qu’une entreprise peut saisir pour tracer son chemin, se différencier et créer de la valeur.
Plus l’entreprise se développe et grandit, plus son évolution future est imprévisible. Ce n’est pas le témoignage d’un déficit d’ordre et d’organisation, ce n’est que la logique naturelle de l’évolution de tout système.
Dans son avancée, rien n’est inscrit à l’avance. Les explications a posteriori du caractère inéluctable de son déroulement sont fictives. A tout moment, le champ des possibles est vaste, et un parmi eux est devenu réel, sans autre raison que c’est celui qui a été effectivement emprunté.
Pour cerner ce champ, ce sont les impossibilités qui doivent être identifiées, comme autant de points durs à respecter, en prenant garde à ne pas prendre ce qui n’est qu’habitudes, conventions ou présupposés pour des impossibilités.
(1) Georges Claude, Air Liquide, Cent ans, p.17

(extrait des Radeaux de feu)

30 oct. 2013

C’EST LE RÉEL QUI FAIT LE POSSIBLE

Les poupées minérales : l’expansion imprévisible (3)
Dans la bibliothèque de Babel, se trouvent tous ces livres, répartis sur une quasi infinité d’étagères, dans une quasi infinité d’alvéoles. Les bibliothécaires s’y promènent, prenant en main, de temps en temps, un livre et s’extasiant quand ils tombent sur une phrase qui a un sens. Car bien sûr dans cet océan des combinaisons, trouver déjà une phrase qui en a un, est un tour de force.
L’un des bibliothécaires disserte sur l’idée qu’il pourrait y avoir un chemin, une façon de trouver les livres comprenant au moins des paragraphes porteurs de significations. Mais c’est impossible, car tant qu’un livre n’a pas été ouvert et parcouru, on ne sait rien de lui. L’employé est mis devant cette angoisse abyssale : savoir que tout livre susceptible d’exister est là quelque part, mais sans avoir la moindre chance de le trouver. Et comme l’écrit Borges : « Il suffit qu’un livre soit concevable pour qu’il existe. Ce qui est impossible est seul exclu. (…) Cette inutile et prolixe épître que j’écris existe déjà dans l’un des trente volumes des cinq étagères de l’un des innombrables hexagones – et sa réfutation aussi » (1).
Tel est le champ des possibles : il dessine devant nous tout ce qui est susceptible d’exister, mais nous n’avons aucun moyen de l’y repérer à l’avance. Et chaque seconde qui s’écoule rend l’Univers plus vaste, plus complexe : des pages supplémentaires sont ajoutées, des mots aux pages, aussi des nouvelles alvéoles sont-elles construites, des nouvelles étagères fixées, et de nouveaux livres posés. Le temps joue contre notre volonté de nous retrouver dans ce labyrinthe infini.
Plutôt que de champ de possibles, je devrais parler d’un champ définissant tout ce qui n’est pas impossible : au sein de ce territoire de plus en plus vaste, le système fait son choix, et ce choix devient le réel, car « c’est le réel qui fait le possible, et non pas le possible qui devient réel » (2).  Pour reprendre la nouvelle de Borges, tant qu’un livre n’est pas trouvé et lu, c’est comme s’il n’existait pas. Tant qu’un possible n’a pu eu lieu, il n’est qu’un possible en devenir, une hypothèse spéculative parmi d’autres.
(1) Jorge Luis Borges, Fictions, p.99-100
(2) Henri Bergson, Le Possible et le Réel, p.17
(extrait des Radeaux de feu)


14 août 2012

« C’EST LE RÉEL QUI FAIT LE POSSIBLE, ET NON PAS LE POSSIBLE QUI DEVIENT RÉEL »

BEST OF (25 janvier 2012)
Est-il possible de penser le temps et le possible ?
Patchwork de « Le possible et le réel » de Henri Bergson
Sur le temps
« Le temps est ce qui empêche que tout soit donné d’un coup. Il retarde, ou plutôt il est retardement. Il doit donc être élaboration. »
« Demain n’existe pas ; rien de ce qui se passera demain n’existe. Par conséquent, demander si cette proposition : « Je me promènerai demain » est vraie ou fausse, c’est poser une question qui n’a pas de sens, parce que c’est demander si cette proposition est conforme ou contraire à ce qui existe, et que demain n’existe pas encore, n’existe pas maintenant. »
« Il est du caractère de la vérité, dès qu’elle nous apparaît comme vérité, de sauter hors du temps et de nous apparaître comme intemporelle. Pourquoi cela, et quelle est la racine de cette illusion ? Elle tient, Messieurs, à ce que j’indiquais tout à l’heure, au caractère essentiellement mathématique de notre esprit. Je disais que nous ne sommes à notre aise que dans les mathématiques. Le caractère des vérités mathématiques, c’est précisément d’être intemporelles, d’être indépendantes du temps. (…) Une proposition comme celle-ci :  « Je me suis promené hier »… a ceci de commun avec les propositions mathématiques qu’à partir du moment où elle est vraie, à partir du moment où elle est devenue vraie, elle reste éternellement vraie. (…) Seulement les vérités mathématiques ont ceci de remarquable que bien qu’elles aient été découvertes à une certaine date, leur éternité remonte en arrière à l’infini. Cette proposition relative au triangle : « La somme des trois angles d’un triangle est égale à deux droits », cette vérité, quoiqu’ayant été découverte à un moment déterminé, est une vérité éternelle, qui a remonté en arrière, cela est vrai de toute éternité. »
Sur le possible et le réel
« Je voudrais revenir sur un sujet dont j’ai déjà parlé, la création continue d’imprévisible nouveauté qui semble se poursuivre dans l’univers. Pour ma part, je crois l’expérimenter à chaque instant. J’ai beau me représenter le détail de ce qui va m’arriver : combien ma représentation est pauvre, abstraite, schématique, en comparaison de l’événement qui se produit ! »
« La réalité est croissance globale et indivisée, invention graduelle, durée : tel un ballon élastique qui se dilaterait peu à peu en prenant à tout instant des formes inattendues. »
« Dans ce sens particulier, on appelle possible ce qui n’est pas impossible. (…) Possible signifiait tout à l’heure « absence d’empêchement. »
« C’est le réel qui fait le possible, et non pas le possible qui devient réel. »
Sur la pensée rétrograde
« Je dis qu’il y a des pseudo-problèmes, et que ce sont les problèmes angoissants de la métaphysique. Je les ramène à deux. L’un a engendré les théories de l’être, l’autre les théories de la connaissance :
-        (Le premier) ne se pose que si l’on se figure un néant qui précéderait l’être. On se dit : « Il pourrait ne rien y avoir. » (…) Mais analysez cette phrase : « Il pourrait ne rien y avoir. ». Vous verrez que vous avez affaire à des mots, nullement des idées, et que « rien » n’a ici aucune signification. (…) Nous ne percevons que du plein. (…) Ou l’idée d’une suppression de tout a juste autant d’existence que celle d’un carré rond.
-        Tout désordre comprend ainsi deux choses : en dehors de nous, un ordre ; en nous, la représentation d’un ordre différent qui est seul à nous intéresser. »
« Comment ne pas voir que si l’événement s’explique toujours, après coup, par tels ou tels des événements antécédents, un événement tout différent se serait aussi bien expliqué, dans les mêmes circonstances, par des antécédents autrement choisis – que dis-je ? par les mêmes antécédents autrement découpés, autrement distribués, autrement aperçus enfin par l’attention rétrospective ? »
« A toute affirmation vraie nous attribuons ainsi un effet rétroactif ; ou plutôt nous lui imprimons un mouvement rétrograde. (…) Elle paraît ainsi avoir préexisté, sous forme de possible, à sa propre réalisation. De là une erreur qui vicie notre conception du passé ; de là notre prétention d’anticiper en toute occasion l’avenir. »
« Les signes avant-coureurs ne sont donc à nos yeux des signes que parce que nous connaissons maintenant la course, parce que la course a été effectuée. »

28 mars 2012

LE CHAMP DES POSSIBLES N’EXISTE PAS

Emboîtements, émergences et incertitude (3)
Donc notre monde qui dérive depuis le big-bang, sous la loi de l’entropie et du chaos. Chaque instant qui passe, le rend plus complexe, plus imprévisible, et multiplie les possibles.
Possible, voilà bien un autre mot qui nous hante avec celui de désordre : le champ des possibles, le désordre du monde… Mais comme le désordre n’est qu’une affaire de point de vue, le champ des possibles existe-t-il vraiment, ou n’est-il qu’un mirage ?
Partons donc nous promener dans la Bibliothèque de Babel imaginée par Jorge Borges (1). Nous avons devant nous tous les livres susceptibles d’être écrits, dans le passé comme dans le futur. Comment se peut-il ? Simple et lumineux : les livres qui la composent, regroupent toutes les combinaisons imaginables entre les lettres. Prenez toutes les lettres de l’alphabet, commencez par celle que vous voulez, choisissez en une autre, une prise au hasard, et continuez. Vous avez cette bibliothèque, et sa quasi infinité de livres, sur une quasi infinité d’étagères, dans une quasi infinité d’alvéoles. Les bibliothécaires s’y promènent, prenant en main, de temps en temps, un livre et s’extasiant quand ils tombent sur une phrase qui a un sens. Car bien sûr dans cet océan des combinaisons, il y en a d’abord qui n’ont aucun sens.
Dans la nouvelle, l’un des bibliothécaires disserte sur l’idée qu’il pourrait y avoir un chemin, une façon de trouver les livres comprenant au moins des paragraphes porteurs de significations. Mais comment le savoir à l’avance ? Comment prévoir ce qui n’est pas advenu ? Comment dans le dédale de ce qui a été imprimé, localiser à l’avance, ce qui, une fois le livre ouvert, fera que c’est bien un livre, et non pas seulement une collection de lettres ? Impossible et angoissant : tout livre potentiel est bien là quelque part, mais où ? Pourtant : « Il suffit qu’un livre soit concevable pour qu’il existe. Ce qui est impossible est seul exclu. (…) Cette inutile et prolixe épître que j’écris existe déjà dans l’un des trente volumes des cinq étagères de l’un des innombrables hexagones – et sa réfutation aussi ».
Voilà donc bien le champ des possibles : devant nous se dessine tout ce qui est susceptible d’exister, mais nous ne savons pas où il se trouve. Et à chaque seconde qui s’écoule rend l’Univers plus vaste, plus complexe, des nouvelles alvéoles se construisent, des nouvelles étagères sont fixées, et de nouveaux livres posées. Le temps joue contre la volonté de se retrouver dans ce labyrinthe infini.
Charles Pierce au mot de possible préférait celui de priméité (2), c’est-à-dire d’une potentialité à être. Avec justesse et précision, il distinguait cette secondéité qui était ce qui nous était accessible, c’est-à-dire l’événement. En effet, rien de penser que quelque chose peut exister, c’est le faire apparaître, car nous sommes nous-mêmes incarnés, et notre pensée n’est jamais abstraction. Nous ne pouvons pas nous extraire de l’analyse, nous ne pouvons pas penser en dehors du monde.
Aussi près que je me trouve du big-bang, le monde des priméités est déjà immense et s’agrandit sans cesse. Par paresse et commodité, je vais continuer à parler de possibles, mais soyons bien clair : parler de possible, ne veut en aucun cas dire qu’il va advenir, mais simplement que rien ne l’interdit.
Car comme Henri Bergson l’a écrit : « C’est le réel qui fait le possible, et non pas le possible qui devient réel. » (voir mon patchwork consacré à son livre « Le possible et le réel » )
(à suivre)

26 janv. 2012

POSSIBLES, IMPOSSIBLES ET RÉALITÉ

Perdu dans les alvéoles de la Bibliothèque de Babel
Que veut dire qu’un état est possible ? Est-ce à dire qu’il va se réaliser ? Non, cela indique seulement qu’il est susceptible de l’être, qu’il n’est pas impossible. Ni plus, ni moins.
Faisons un détour par la Bibliothèque de Babel1, une nouvelle de Jorge Borges. Cette bibliothèque contient tous les livres susceptibles d’être écrits, dans le passé comme dans le futur. Comment est-ce possible ? Simple et lumineux : les livres qui la composent, regroupent toutes les combinaisons imaginables entre les lettres. Il y a donc une quasi infinité de livres, sur une quasi infinité d’étagères, dans une quasi infinité d’alvéoles. Les bibliothécaires s’y promènent, prenant en main, de temps en temps, un livre et s’extasiant quand ils tombent sur une phrase qui a un sens. Car bien sûr dans cet océan des possibles, il y a d’abord des combinaisons qui n’ont aucun sens.
Dans la nouvelle, l’un d’eux disserte sur l’idée qu’il pourrait y avoir un chemin, une façon de trouver les livres comprenant au moins des paragraphes porteurs de significations. Mais c’est évidemment impossibles : face à l’infini des possibles, il est impossible de trouver le chemin du réel, c’est-à-dire du sens. Et pourtant comme l’a écrit Borges : « Il suffit qu’un livre soit concevable pour qu’il existe. Ce qui est impossible est seul exclu. (…) Cette inutile et prolixe épître que j’écris existe déjà dans l’un des trente volumes des cinq étagères de l’un des innombrables hexagones – et sa réfutation aussi ».
Ainsi va notre Univers qui agrandit sans cesse sa bibliothèque de Babel, et nous perd dans les méandres de ce qui n’existera jamais.
(1) Fictions, Folio 1957

25 janv. 2012

« C’EST LE RÉEL QUI FAIT LE POSSIBLE, ET NON PAS LE POSSIBLE QUI DEVIENT RÉEL »

Est-il possible de penser le temps et le possible ?
Patchwork de « Le possible et le réel » de Henri Bergson
Sur le temps
« Le temps est ce qui empêche que tout soit donné d’un coup. Il retarde, ou plutôt il est retardement. Il doit donc être élaboration. »
« Demain n’existe pas ; rien de ce qui se passera demain n’existe. Par conséquent, demander si cette proposition : « Je me promènerai demain » est vraie ou fausse, c’est poser une question qui n’a pas de sens, parce que c’est demander si cette proposition est conforme ou contraire à ce qui existe, et que demain n’existe pas encore, n’existe pas maintenant. »
« Il est du caractère de la vérité, dès qu’elle nous apparaît comme vérité, de sauter hors du temps et de nous apparaître comme intemporelle. Pourquoi cela, et quelle est la racine de cette illusion ? Elle tient, Messieurs, à ce que j’indiquais tout à l’heure, au caractère essentiellement mathématique de notre esprit. Je disais que nous ne sommes à notre aise que dans les mathématiques. Le caractère des vérités mathématiques, c’est précisément d’être intemporelles, d’être indépendantes du temps. (…) Une proposition comme celle-ci :  « Je me suis promené hier »… a ceci de commun avec les propositions mathématiques qu’à partir du moment où elle est vraie, à partir du moment où elle est devenue vraie, elle reste éternellement vraie. (…) Seulement les vérités mathématiques ont ceci de remarquable que bien qu’elles aient été découvertes à une certaine date, leur éternité remonte en arrière à l’infini. Cette proposition relative au triangle : « La somme des trois angles d’un triangle est égale à deux droits », cette vérité, quoiqu’ayant été découverte à un moment déterminé, est une vérité éternelle, qui a remonté en arrière, cela est vrai de toute éternité. »
Sur le possible et le réel
« Je voudrais revenir sur un sujet dont j’ai déjà parlé, la création continue d’imprévisible nouveauté qui semble se poursuivre dans l’univers. Pour ma part, je crois l’expérimenter à chaque instant. J’ai beau me représenter le détail de ce qui va m’arriver : combien ma représentation est pauvre, abstraite, schématique, en comparaison de l’événement qui se produit ! »
« La réalité est croissance globale et indivisée, invention graduelle, durée : tel un ballon élastique qui se dilaterait peu à peu en prenant à tout instant des formes inattendues. »
« Dans ce sens particulier, on appelle possible ce qui n’est pas impossible. (…) Possible signifiait tout à l’heure « absence d’empêchement. »
« C’est le réel qui fait le possible, et non pas le possible qui devient réel. »
Sur la pensée rétrograde
« Je dis qu’il y a des pseudo-problèmes, et que ce sont les problèmes angoissants de la métaphysique. Je les ramène à deux. L’un a engendré les théories de l’être, l’autre les théories de la connaissance :
-        (Le premier) ne se pose que si l’on se figure un néant qui précéderait l’être. On se dit : « Il pourrait ne rien y avoir. » (…) Mais analysez cette phrase : « Il pourrait ne rien y avoir. ». Vous verrez que vous avez affaire à des mots, nullement des idées, et que « rien » n’a ici aucune signification. (…) Nous ne percevons que du plein. (…) Ou l’idée d’une suppression de tout a juste autant d’existence que celle d’un carré rond.
-        Tout désordre comprend ainsi deux choses : en dehors de nous, un ordre ; en nous, la représentation d’un ordre différent qui est seul à nous intéresser. »
« Comment ne pas voir que si l’événement s’explique toujours, après coup, par tels ou tels des événements antécédents, un événement tout différent se serait aussi bien expliqué, dans les mêmes circonstances, par des antécédents autrement choisis – que dis-je ? par les mêmes antécédents autrement découpés, autrement distribués, autrement aperçus enfin par l’attention rétrospective ? »
« A toute affirmation vraie nous attribuons ainsi un effet rétroactif ; ou plutôt nous lui imprimons un mouvement rétrograde. (…) Elle paraît ainsi avoir préexisté, sous forme de possible, à sa propre réalisation. De là une erreur qui vicie notre conception du passé ; de là notre prétention d’anticiper en toute occasion l’avenir. »
« Les signes avant-coureurs ne sont donc à nos yeux des signes que parce que nous connaissons maintenant la course, parce que la course a été effectuée. »