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1 juil. 2016

COMMENT SE COUPER DU RÉEL ET DEVENIR HORS SOL

Attention à ne pas se déconnecter du réel
Ce billet est un extrait tiré de mon livre Neuromanagement publié en 2008. 
Toute ressemblance avec des femmes ou hommes politiques ne serait évidemment qu’une coïncidence ! 

Plus une entreprise est grande et puissante, plus elle risque de se déconnecter du réel et se croire invulnérable. Or le réel est bien là, dans et autour de l'entreprise. A un moment ou à un autre, il se rappellera aux bons soins de ceux qui l'ont oublié...
Certains succès montent à la tête
Cette entreprise était allée de succès en succès. Créée il y a maintenant plus de cinquante ans, elle avait rapidement pris une position de leader sur ses marchés et avait réussi à s’imposer mondialement.
Après cette phase initiale d’expansion, pour accroître son efficacité, elle avait progressivement automatisé tout ce qui pouvait l’être. Parallèlement, elle avait mis en place un plan de formation interne pour accueillir les nouveaux et accélérer l’apprentissage de ses recettes de succès. Tout ceci facilitait l’action quotidienne et permettait de se concentrer sur ce qui était nouveau.
Aujourd’hui, un sentiment de puissance s’est diffusée et elle se sent invulnérable aux évolutions de la conjoncture et des exigences des clients : elle a oublié tous les efforts faits dans le passé, et est convaincue d’être « naturellement » plus forte que ses concurrents.
Résultat, elle ignore de plus en plus sa concurrence, et étant experte, croit savoir mieux que ses clients ce dont ils ont besoin. Elle est de moins en moins capable de repérer les signaux faibles venant de son environnement et a tendance à oublier les points qui sont à l’origine de son propre succès.
L’entreprise continue à être dirigée de façon consciente, mais n’intègre plus les informations qui pourraient contredire ses interprétations, interprétations qui sont devenues des certitudes. 
Sans le savoir, sans s’en rendre compte, l’entreprise agit peut-être à contre-courant : elle est devenue insensible à son environnement, et donc vulnérable à toute rupture…
On est tellement bien chez nous...
Grâce à sa position dominante, la profitabilité de cette entreprise est largement supérieure à la moyenne du marché. Elle est assise à la fois sur des positions industrielles clés, sur le contrôle de quelques ressources essentielles et sur un savoir-faire industriel et marketing. Bref tout va bien…
Pour récompenser tout le monde, des avantages ont été accordés, année après année, aux salariés et à la Direction. Le sentiment d’appartenance à l’entreprise s’est renforcé au fur et à mesure du cumul de ces avantages.
Un accord tacite entre Direction, syndicats et personnel amène, à l’occasion de chaque négociation, à les renforcer, quitte à externaliser davantage de fonctions pour ne pas dégrader la compétitivité de leur entreprise : il y a de moins en moins de monde à l’intérieur et ceux qui s’y trouvent sont de plus en plus en décalage avec le « monde extérieur ».
S’est ainsi développé petit à petit un confort interne croissant qui n’incite plus à la vigilance. Finalement, tout le monde, Direction comme salariés, privilégie le développement de ce confort : le corps social de l’entreprise se coupe progressivement de l’extérieur. À la limite, on manage alors pour manager, on pense qu’une réunion est bonne parce qu’elle s’est simplement bien passée, et on oublie que tout ceci n’a de sens que si la performance réelle, celle vue par les clients et l’extérieur, s’améliore effectivement.
Devenue autiste, l’entreprise a tendance à protéger jusqu’au bout les avantages acquis, éventuellement même en mettant en péril sa survie…
Je n'ai pas besoin des autres
Créée initialement autour d’un produit unique qu’elle a mondialisé, cette entreprise a ensuite grandi rapidement en multipliant ses lignes de produits. Elle est experte dans la transformation d’une innovation en marché : identification des savoir-faire clés, industrialisation des processus, marketing et commercial ad-hoc, gestion de la marge et du profit…
Ce développement s’est accompagné de la mise en place de structures ad-hoc, d’une spécialisation croissante et d’une multiplication des interlocuteurs internes. Le système global est devenu de plus en plus complexe et l’atteinte de la performance suppose une collaboration efficace entre un nombre croissant d’acteurs.
L’intégration transverse est maintenant difficile à piloter et est de moins en moins maîtrisée. Une partie des acteurs en place se fait sa propre interprétation de la mission qui lui est allouée et de ce que peuvent attendre ou fournir les autres acteurs. Certains vont même jusqu’à se poser la question de la pertinence des structures  communes et de l’existence de l’entreprise en tant que telle.
Pourtant ces structures communes sont celles qui fournissent les ressources et les innovations. Finalement les délais de lancement des nouveaux produits s’allongent…
Et comme la multiplication des lignes de produit s’était faite selon un logique client et qu’elles s’adressent toujours le plus souvent aux mêmes clients, ceux-ci sont contactés en désordre et ne comprennent plus la logique de l’entreprise…
Finalement, plus personne n’a confiance en personne, et les processus internes deviennent redondants…
La performance globale se dégrade, mais personne ne s’en rend vraiment compte, car chacun est focalisé sur son périmètre. L’entreprise se fissure doucement et sûrement…
Des entreprises font des calculs qui ne veulent rien dire
Cette entreprise allait de la chimie de base à la chimie de spécialités, chaque ligne de produit étant centralement pilotée par une structure ad-hoc. En France, les organisations commerciales étaient dédiées à ces lignes de produits, mais, partout ailleurs, existait un responsable pays qui exerçait une supervision de toutes les activités locales.
Aussi « logiquement », ce responsable calculait la part de marché du groupe dans le pays. Cette part de marché était l’agglomération des parts de marché de chaque produit, et faisait une moyenne entre des produits n’ayant aucun rapport entre eux : quel sens pouvait avoir de mélanger des produits aussi dissemblables que les dérivés chlorés ou sulfurés avec des silicones, voire même des terres rares ?
La part de marché résultante n’avait donc aucun sens métier : ce n’était que le résultat d’un calcul et rien de plus.
Or comme le responsable pays avait un rôle historique important dans le groupe, elle était suivie au niveau de la Direction Générale et toute évolution de cette part de marché déclenchait analyse et questions.
Le système central construisait ses interprétations sur une donnée qui n’avait aucun sens réel et n’avait aucun lien avec les logiques de développement des activités dans les pays

27 mai 2016

L’INCOMMENSURABLE MYSTÈRE HUMAIN

1+1 = 2 et alors ?
Ce dessin trouvé il y a longtemps sur internet, m’a toujours amusé.
Pas seulement à cause du mystère féminin qu’il évoque, mais plus largement pour l’inutilité des mathématiques et des équations, dès qu’il s’agit de comprendre la nature humaine !
Ainsi par exemple, si, avec des équations simples, on peut calculer facilement le coût de la trousse d’un élève, cela ne sert pas grand chose pour savoir ce qu’il va en faire, ni s’il aura une bonne note à son prochain devoir…

16 avr. 2014

POUR UN DIRIGEANT PLUS PHILOSOPHE ET HISTORIEN QUE MATHÉMATICIEN

Pour un Dirigeant porteur de sens et de compréhension – Vidéo 4
On peut sous-traiter les calculs, mais pas la compréhension, l'empathie et la vision. Aussi les qualités requises pour diriger sont celles d'un visionnaire-philosophe et historien :
- capable de rêver le futur qui attire le cours de son fleuve,
- soucieux du sens des mots et des actes, les siens comme ceux des autres, individuels comme collectifs,
- sensible à l'importance et la vulnérabilité des interprétations.

1 avr. 2014

SOUS-TRAITER LES CALCULS, MAIS PAS LA COMPRÉHENSION, L’EMPATHIE ET LA VISION

Pour un Dirigeant porteur de sens et de compréhension (6)
Voici donc en résumé les qualités requises pour être un dirigeant capable de piloter par émergence :
- Savoir que, quels que soient ses efforts, ses décisions et ses actes seront conduits majoritairement par ses processus inconscients : il doit l’avoir intégré, et donc se méfier des situations où son expérience et son passé pourraient l’amener à avoir des intuitions fausses. Ceci l’amène à ne pas diriger une entreprise dans laquelle il n’a pas grandi, ou qui est trop éloignée de celle où il a travaillé.
- Avoir compris que l’incertitude n’est pas le témoin d’un déficit de connaissance ou une anomalie, mais le fruit du développement du monde, et croît inévitablement avec le vivant : s’il lutte contre l’incertitude, et pense la réduire par le contrôle et la prévision, il fait fausse route. Renforcer son entreprise, c’est l’accroître, tout en développant une capacité collective à en tirer parti.
- Savoir que les mots et le langage qu’il emploie, ne sont pas seulement ce avec quoi il communique, mais d’abord ce au travers de quoi il pense : parce que l’art du langage est celui de la précision, il prête attention aux mots qu’il utilise, et comment ils conditionnent sa pensée et la compréhension de ceux qui l’entourent. L’art des mots est plus important que celui de la règle de trois, car les calculs peuvent être sous-traités, la pensée non.
- Rechercher la confrontation comme moyen d’ajuster les interprétations : il sait que les points de vue de chacun dépendent de l’endroit où l’on se trouve et de sa propre expérience. Il est donc normal de ne pas être d’accord, c’est l’inverse qui est surprenant et preuve d’évitement.
- Inspirer confiance et la diffuser dans toute l’entreprise : sans confiance, il est impossible d’accepter l’incertitude et de développer une confrontation positive. C’est donc une de ses préoccupations majeures et un de ses objectifs quotidiens : comment accroître la confiance individuelle et collective au sein de son entreprise.
Bref il sait qu’il peut sous-traiter les calculs, mais pas la compréhension, l’empathie et la vision.
(extrait des Radeaux de feu)

8 juil. 2013

PHILOSOPHIE ET HISTOIRE SONT PLUS UTILES QUE LES MATHÉMATIQUES POUR DIRIGER DANS L'INCERTITUDE

Dur, dur d’être un dirigeant performant, surtout si l’on croît qu’il s’agit seulement d’avoir une tête bien faite, garnie d’équations, de mathématiques et de business plan en tous genres !
Décider trop tôt n’est pas décider à temps : sale temps pour la réflexion et l'action
Le monde est de plus en plus turbulent, et tous les managers sont pris dans des tourbillons contradictoires.
Ainsi que je l’écrivais dans mon livre, Les mers de l’incertitude, il ne faut pas pour autant être malade du temps : "Si agitation rimait avec efficacité, toutes les entreprises seraient performantes. Mais souvent, cette agitation rime avec moindre réactivité réelle, moindre compréhension de ce qui se passe, moindre rentabilité. Confusion entre activité et performance, agitation et progression… (…) Toute personne qui ne court pas et n’est pas débordée est suspecte. Même en réunion, on doit lire ses mails et y répondre, et seuls le présent et le court terme comptent… (…)
Car, la question n’est pas d’aller vite dans l’absolu, mais d’adapter la vitesse à ce que l’on veut faire, d’ajuster rythme et durée. Une idée centrale est de comprendre l’interaction entre la durée d’observation et l’analyse que l’on peut mener : un corps observé sur une courte durée peut sembler solide, alors qu’il ne le sera plus au bout d’un certain d’observation
."
Quatre remarques pour compléter mes propos d’alors :
Toute activité, toute entreprise, tout projet est un flux, un mouvement. Toute réflexion, notamment tout business plan, est une photographie, c’est-à-dire un arrêt sur image (même s’il est le plus souvent composé d’un ensemble de photographies prises à des instants différents). Il y a donc une perte de la réalité du temps qui, au lieu d’être continu, devient discret. Penser en terme de flux et de dynamique est pourtant essentiel.
Ces flux ne sont pas toujours linéaires, ni en progression. Ils peuvent être circulaires, comme dans la succession des saisons et de l’agriculture. La distinction entre flux linéaire et circulaire est majeure.
Il faut savoir résister à la maladie collective de l’urgence, et, au contraire, décider le plus tard possible, car toute décision est la fermeture d’options. L’anticipation peut être souvent non seulement contre-productive, mais dangereuse.
L’art de la décision est aussi celle du choix du moment où l’on prend la décision. Il n’y a en la matière aucune règle, à part celle d’avoir compris que ce choix était critique, et devait être réfléchi, et non pas simplement le résultat des courants et des événements.
L'illusion du contrôle par la centralisation : Croire piloter parce que l'on décide ou le "Decido, ergo sum" !
Plus celui qui décide est face à la situation réelle, plus il a entre les mains non seulement les données du problème, mais aussi les voies et moyens d’action, et plus l’action entreprise a des chances d’être efficace. C’est ce qui milite en faveur de la décentralisation, et à ne décider qu’a minima, au niveau central. Tel est bien la logique actuelle qui prévaut dans l’art militaire : donner de plus en plus d’autonomie aux forces de terrain, tout en veillant à ce qu’elles connaissent bien quel est le but visé.
Mais cette tendance est bien théorique dans les entreprises, et dans les faits, rarement mise en œuvre.
Pourquoi diable ? Ceci est dû souvent par une conjonction de causes :
– Le déficit de confiance : celui qui détient les rênes du pouvoir se croit souvent supérieur, et pense que les abandonner aux autres est une prise de risque. Il ne voit pas combien sa compréhension de la situation peut être faussée par la distance, et combien la vraie prise de risque et décider lui-même les modalités de l’action.
– L’illusion de la connaissance, notamment grâce aux systèmes d’information : grâce aux technologies de l’information, le centre est connecté en temps réel avec tout ce qui se passe, et imagine qu’il peut voir et comprendre tout ce qui advient, mieux que ceux qui sont sous l’épreuve des balles. Mais ces informations ne sont toujours que partielles, froides, et paradoxalement surabondantes : comment faire la synthèse de ces tableaux de chiffres qui défilent continûment ?
– La globalisation des médias, et la vulnérabilité du centre : plus rien n’est loin du centre, et tout peut l’atteindre immédiatement. Une erreur même mineure, commise dans une filiale lointaine, peut avoir des effets catastrophiques, par exemple en terme d’image pour l’entreprise.
– La judiciarisation du monde : Le dirigeant sait qu’il peut être juridiquement responsable de tout ce qui advient dans son entreprise, y compris pour des actes qu’il n’a pas personnellement décidés. Ce n’est vraiment de nature ni à la détendre, ni à faciliter la décentralisation.
Malgré tous ces obstacles réels, je reste convaincu que la pire des décisions est de vouloir décider de tout et de ne pas décentraliser… mais cela ne veut pas dire qu’il faut le faire sans en définir les règles et les modalités !
Sous-traiter les calculs, pas la pensée : vers des dirigeants visionnaires, philosophes et historiens
Quelles sont donc les qualités requises pour être un dirigeant dans l'incertitude, et savoir en tirer parti :
– Il sait que, quels que soient ses efforts, ses décisions et ses actes seront conduits majoritairement par ses processus inconscients : il doit l’avoir intégré, et donc se méfier des situations où son expérience et son passé pourraient l’amener à avoir des intuitions fausses. Ceci milite à ne pas vouloir diriger des entreprises dans lesquelles il n’a pas grandi, ou qui sont trop éloignées des précédentes où il a travaillé.
– Il a compris que l’incertitude n’est pas le témoin d’un déficit de connaissance ou une anomalie, mais le fruit du développement du monde, et croît inévitablement avec le vivant : s’il lutte contre l’incertitude, et croit qu’il la réduit par le contrôle et la prévision, il fait fausse route. Renforcer son entreprise, c’est accroître l’incertitude, tout en développant une capacité collective à en tirer parti.
– Les mots et le langage qu’ils emploient, ne sont pas seulement ce avec quoi il communique, mais d’abord ce au travers de quoi il pense : comme il est important d’affûter un couteau pour découper efficacement une viande et savoir utiliser le bon tranchant, l’art du langage est celui de la précision. Tout dirigeant doit prêter attention aux mots qu’il utilise, et comment ils conditionnent sa pensée et la compréhension de ceux qui l’entourent. L’art des mots est souvent plus important que celui de l’art de la règle de trois, car les calculs peuvent être sous-traités, la pensée non.
– Il recherche la confrontation comme moyen d’ajuster les interprétations : il sait que les points de vue de chacun dépendent de l’endroit où l’on se trouve et de sa propre expérience. Il est donc normal de ne pas être d’accord avant toute discussion, c’est l’inverse qui est surprenant et preuve d’évitement.
– Il inspire confiance et la diffuse dans toute l’entreprise : sans confiance, il est impossible de vivre dans l’incertitude et de développer une confrontation positive. C’est donc une qualité majeure du dirigeant, et doit être un de ses objectifs quotidiens : comment accroître la confiance collective et individuelle au sein de son entreprise.
En conclusion de ce panorama rapide des qualités qui me semblent requises pour diriger, je dirais que je le vois d’abord comme un visionnaire philosophe et historien, c’est-à-dire quelqu’un capable de voir où sont les mers qui attirent le cours des fleuves, de se préoccuper du sens des actes de son entreprise, et de comprendre l’importance et la vulnérabilité des interprétations.
(Article paru dans le Cercles Les Echos le 13 février 2013, et sur le blog en 3 parties)

19 juin 2013

ARRÊTONS DE CROIRE LES BALIVERNES DES ÉCONOMISTES, NOS SORCIERS MODERNES

Affirmer à l’avance que l’on va se tromper, n’est pas avoir raison
 A écouter les économistes, il est normal qu’ils se trompent. La plupart revendiquent même ceci comme la preuve de leur sérieux et de leur bonne foi.
Il est vrai que, vu le décalage constant qu’il y a entre leurs prévisions et la réalité, et leur incapacité à construire des théories explicatrices autrement qu’a posteriori, il était vital pour eux, d’intégrer l’erreur comme faisant parti de ce qu’ils appellent encore une science.
Un peu comme si un élève, conscient de son incapacité à fournir les bonnes réponses, avait prévenu son professeur que la plupart de ses devoirs seraient faux, et que, puisqu’il l’avait annoncé à l’avance, il devait avoir à chaque fois la meilleure note : il ne se trompait plus, puisqu’il savait que ses réponses n’étaient pas bonnes. Il avait donc raison, et son évaluateur devait en tenir compte.
Les économistes font de même : les crises sont cycliques et imprévisibles, et donc toutes leurs théories sont fausses… à part celle qui affirme que précisément leurs théories le sont… donc ils ont raison. CQFD !
Et le plus étonnant, c’est que tout le monde, ou presque, continue à les croire et les écouter. Pourtant aucun élève cherchant à appliquer la même tactique n’obtiendrait de bonnes notes, non ?
Alors pourquoi donc n’écoutons-nous donc pas plus quelqu’un comme Daniel Kahneman qui a longuement et en détail, expliqué pourquoi la science économique n’en était pas une, essentiellement parce qu’elle traite d’êtres théoriques les « Econs » alors que nous sommes des « Humans » (1) ? Pourquoi lui avoir donné un prix Nobel d’économie en 2002 ? Pour se donner bonne conscience, et surtout passer aux oubliettes tout ce qu’il dit ?
Et si jamais, vous pensez que j’exagère, pouvez-vous alors m’expliquer pourquoi nous avons encore des crises ? Et comment se fait-il que les économistes parlent sans cesse du taux de croissance, sans remarquer que nous sommes incapables de le connaître, puisqu’il est le taux de variation du PIB, et que nous ne savons pas réellement le mesurer précisément ?  PIB qui d’ailleurs ne mesure pas vraiment l’activité d’un pays…
Arrêtons donc de croire ces grands prêtres modernes qui ne comprennent pas plus ce qui se passe, que les sorciers de l’Antiquité ne connaissaient comment fonctionnait le corps humain.
Comme nous sommes devenus modernes, ne les brûlons pas, ignorons les simplement, et admettons que ce n’est pas par la mathématisation du monde que nous progresserons dans la compréhension de ce qui advient…

(1) Voir notamment son dernier livre « Thinking Fast and Slow » et la série d’articles que je lui ai consacrés

4 janv. 2013

AGIR DANS L'INCERTITUDE

Diriger en lâchant prise (BEST OF - paru les 30 et 31 octobre, 5 et 6 novembre 2012)
Vent, tigre et incertitude
Au cœur de la jungle, survient un bruit dans les feuilles. Un de nos lointains ancêtres pense que c’est un tigre et grimpe au sommet de l’arbre voisin. De là, il constate que ce n’était que l’effet du vent : il sourit de son erreur, et en est pour une belle peur… mais, s’il avait pris le bruit d’un tigre pour celui du vent, ni vous, ni moi ne serions là.
Assis à votre bureau, vous êtes entouré de bruits : le journal parle d’une reprise qui n’arrive pas, le chiffre d’affaires n’atteint pas ce qui avait été prévu, le lancement du nouveau produit a pris trois mois de retard, ce que prépare le concurrent reste inconnu… Mu par des pulsions venues de la jungle, certain qu’il y a un tigre derrière tout ce bruit, vous stoppez les investissements, renforcez les contrôles et déclenchez un plan de survie.
Ah, si seulement le monde était sécurisant comme celui des livres de cuisine, avec la liste des ingrédients et le bon mode opératoire, il serait facile d’obtenir le résultat conforme à la photographie affichée !
Pourtant, l’incertitude est-elle une si mauvaise nouvelle ? Imaginez un monde prévisible : quelle y serait la place laissée à l’intelligence, au professionnalisme et à la créativité ? Comment une entreprise pourrait-elle s’y différencier des autres, et créer de la valeur, puisque progressivement, toutes feraient progressivement la même chose ? Et à quoi bon avoir une équipe de direction quand un programme informatique suffirait…

Penser à partir du futur : chercher la mer qui attire le cours du fleuve
Depuis le pont Mirabeau, essayez donc de savoir où va la Seine. Difficile de trouver la bonne réponse non ? Aussi, descendez et suivez son cours. Rapidement puisqu’au gré de ses méandres, elle va sans cesse de droite à gauche, vous conclurez qu’elle ne sait pas où elle va.
Pourtant, quoi qu’il arrive, la Seine va bien toujours au même endroit !
Dès lors, comment faire pour voir où elle se dirige ?
Prenez plutôt le temps de comprendre qu’elle est un fleuve, ne regardez pas ce qu’elle fait, et cherchez la mer, ce futur qui l’attire.
Quand un dirigeant construit sa stratégie à partir de l’observation de ce qui s’est passé et se passe, il tombe dans la même  erreur : il veut deviner où va la Seine depuis le pont Mirabeau.
Voilà un des grands paradoxes du monde de l’incertitude : il faut réfléchir à partir du futur, et non pas à partir du présent.
Elle est donc le meilleur garant de la performance future… à condition de ne pas céder à nos peurs ancestrales, et à ne pas lutter contre elle : apprenons à agir dans l’incertitude et à diriger en lâchant prise. Certes, mais comment ?

Trois tentations à éviter
1. L’expertise : Toute expertise conduit implicitement à construire une vision du monde fondée sur le passé. Difficile avec les yeux de l’expert, de repérer ce qui est nouveau et en rupture. Il ne s’agit pas de se priver de l’expertise, mais de veiller à la mobiliser non pas a priori, mais a posteriori.
2. La mathématisation : La réponse à la montée de l’incertitude n’est pas dans la sophistication des modèles et dans la multiplication des tableurs excel. Il n’est pas non plus pertinent de croire que l’on va pouvoir appliquer des règles de trois sur les comportements humains : ce n’est pas en multipliant par deux la taille d’une équipe qu’elle ira deux fois plus vite… La complexité doit être acceptée.
3. L’anorexie : La recherche de la productivité à tout prix conduit à ajuster l’entreprise à la vision que l’on a actuellement de la situation. On la rend ainsi cassante, et incapable de faire face aux aléas. Il faut préserver une part de flou, c’est-à-dire de ressources non affectées et disponibles.

Trois modes d'action à privilégier
1. Rechercher la facilité : Nous sommes naturellement poussés à faire l’éloge de la sueur et de la difficulté. Mais parce qu’on ne peut pas lutter longtemps contre le cours des choses, et que le pire ne peut jamais être exclus, si l’on n’agit pas initialement dans la facilité, c’est-à-dire en s’appuyant sur ce que l’on sait faire, on n’ira pas au bout du marathon.
2. Ajuster la vitesse à ce que l’on fait : S’il suffisait de courir pour être efficace, comme chacun se précipite de partout, toutes les entreprises le seraient ! Ainsi que l’a écrit Jean-Louis Servan-Schreiber, « Nous travaillons sans recul. Pour un canon, c’est un progrès. Pas pour un cerveau ». Que faire ? Adapter son rythme à ce que l’on fait, et ne pas oublier que l’on ne peut pas penser vite à long terme.
3. Être un paranoïaque optimiste : Dans le monde de l’incertitude, il est impossible de probabiliser le futur. Ce qu’il faut, c’est identifier les scénarios les plus dangereux par leurs conséquences (1), s’y préparer, et faire tout pour qu’ils ne se produisent pas.

(1) Voir Le Cygne Noir de Nassim Taleb

5 nov. 2012

TROIS TENTATIONS À ÉVITER

Agir dans l’incertitude : Diriger en lâchant prise? (3)
1. L’expertise : Toute expertise conduit implicitement à construire une vision du monde fondée sur le passé. Difficile avec les yeux de l’expert, de repérer ce qui est nouveau et en rupture. Il ne s’agit pas de se priver de l’expertise, mais de veiller à la mobiliser non pas a priori, mais a posteriori.
2. La mathématisation : La réponse à la montée de l’incertitude n’est pas dans la sophistication des modèles et dans la multiplication des tableurs excel. Il n’est pas non plus pertinent de croire que l’on va pouvoir appliquer des règles de trois sur les comportements humains : ce n’est pas en multipliant par deux la taille d’une équipe qu’elle ira deux fois plus vite… La complexité doit être acceptée.
3. L’anorexie : La recherche de la productivité à tout prix conduit à ajuster l’entreprise à la vision que l’on a actuellement de la situation. On la rend ainsi cassante, et incapable de faire face aux aléas. Il faut préserver une part de flou, c’est-à-dire de ressources non affectées et disponibles.
(à suivre)

5 mars 2012

ON NE TRANSFORME PAS UN PAYS GRÂCE À LA MACROÉCONOMIE

Les candidats à l’élection présidentielle doivent quitter la mathématisation du monde, et rejoindre le réel s'ils veulent être crédibles et réellement changer les choses.
Tout le discours collectif est, sauf de rares exceptions, de nature macroéconomique : on ne parle que taux de croissance, PIB, taux d’inflation, taux de chômage, taux de création d’entreprises, taux de défaillance, pourcentage d’entreprises innovantes ou exportatrices, balance des paiements…
Or ce monde macroéconomique n’est qu’un monde fictionnel, une construction de l’esprit, une représentation du réel, une mathématisation des relations : je n’ai jamais croisé dans un café un taux de croissance, ni pris un verre avec un PIB, ni, au détour d’un carrefour, risqué d’écraser un pourcentage d’innovation quelconque, ou encore discuté avec une balance des paiements…
Le monde réel est celui des individus, de tous les êtres vivants et inanimés, de leurs relations et interrelations, de ces structures locales ou globales qui vont de la fourmilière à l’entreprise en passant par tous les écosystèmes et nos villes.
Ce monde qui est celui que nous habitons, celui qui nous rend heureux ou malheureux, autonomes ou dépendants, épanouis ou malades, a disparu du discours politique. Il n’est plus qu’une abstraction décrite par des chiffres, des statistiques et des moyennes.
De temps en temps, à l’occasion d’une crise, il émerge dans le débat public : là pour une émeute dans une banlieue, ici pour des salariés qui refusent la destruction de leur outil de travail, et ailleurs, ailleurs pour des familles ne pouvant plus se loger.
Et la vie continue... si l'on peut dire...
Mais ce construit théorique de la macroéconomie et des sciences dites sociales est de moins en moins représentatif de notre monde. Pour ceux qui en doutent, qu’ils se posent une question simple : si la macroéconomie et les sciences sociales étaient exactes, pourquoi aurions-nous des crises à répétition ? Est-ce que leur succession sans cesse renouvelée, voire même leur amplification, ne sont pas la meilleure démonstration de l’absurdité de cette mathématisation du monde ?
Cet envahissement du tout économique est récent, et a pris son essor essentiellement ces dernières années. Charles-Henri Filippi, dans son dernier livre, Les 7 péchés du capital, écrit très bien ces dangers. Il y insiste sur le danger de la « transformation de la rationalité » en une « aptitude à chiffrer toute chose. (…) La rationalité moderne par la simplicité même de sa définition, juge toutes les activités à la même aune : quel bien-être procurent-elles ? Au prix de quels moyens ? Le fait que tout devienne ainsi mesurable et comparable étend l’économique qui, de champ particulier des rapports sociaux, en devient l’interprète et la seule expression possible. »
Venant d’un banquier, encore à la tête de la filiale française d’HSBC, une des plus grandes banques mondiales, le propos prend tout son poids…
Cette « maladie » a envahi non seulement les structures politiques, mais aussi bon nombre de directions générales de grandes entreprises. C’est ce que j’ai été amené à dénoncer à de multiples reprises, et singulièrement dans mon livre, Les mers de l’incertitude : on ne peut pas diriger efficacement à coup de tableurs excel et de prévisions mathématiques !
Et rien ne change, bien au contraire. Je suis frappé comme tous les programmes et les discours des principaux candidats à l’élection présidentielle restent à ce niveau macroéconomique. Leur entourage n’est constitué que des théoriciens de l’entreprise et de l’économie. Se croyant comme des grands prêtres, ils me donnent l’impression de croire que l’on peut changer le monde par incantation (voir On ne change pas l’économie par incantation)
Parfois ces incantations vont dans le bon sens, comme par exemple l’appel de François Bayrou à plus de rigueur et à développer la production française, mais elles restent toujours théoriques et bien éloignées de la réalité de la vie. Comment concrètement François Bayrou veut-il procéder et quel lien concret avec la vie des entreprises ?
Quand comprendront-ils que la macroéconomie n’est ni un outil d’explication, ni un outil de pilotage, puisque la réalité se situe ailleurs, et qu’au mieux, elle ne fait que constater, a posteriori, les évolutions en agglomérant les données locales ?
Quand descendront-ils de leur piédestal pour se pencher sur des sujets concrets comme les délais de paiement et les modalités de transfert de propriété ?
Quand reparleront-ils du territoire réel dans lequel se déroule l’économie, de nos villes, nos banlieues et nos campagnes ?
Le Général de Gaulle, lors de son retour au pouvoir en 1958, ne s’était pas contenté de discours. Il avait lancé une politique nouvelle d’aménagement du territoire. Il avait agi concrètement et physiquement en modifiant la géographie de nos villes. Il avait lancé des actions industrielles structurantes.
En 2012, à l’ère de l’incertitude et de la globalisation, il serait illusoire et dangereux de vouloir copier à l’identique ce qui avait été fait plus de cinquante plus tôt. Notamment imaginer que c’est l’État central qui peut inventer une stratégie industrielle est une illusion.
Mais ce sont bien ces questions concrètes qu’il faut se poser, et auxquelles il faut apporter des réponses contemporaines : quelle nouvelle politique d’aménagement du territoire compte-tenu de la position de la France, de nos ressources et de la multiplicité des acteurs ? Quel rôle concret peut-jouer un État central et comment le mettre en œuvre ?

1 févr. 2012

NON, LE TRAVAIL N’EST PAS UNE MARCHANDISE !

Faire des calculs sur le coût du travail n’a pas grand sens
La quasi-totalité des hommes politiques, de gauche comme de droite, et des économistes continuent à considérer que le travail est une quantité que l’on peut additionner et multiplier. Il en était ainsi lors des débats sur les 35 heures, il en est ainsi aujourd’hui quand on parle du coût du travail.
Or les activités humaines ne se prêtent pas aux règles de trois, et heureusement ! C’est déjà ce que j’indiquais dans mon livre, Les mers de l’incertitude, quand je m’attaquais aux dangers de la mathématisation du monde.  J’y écrivais notamment : 
« Si un bagagiste ramasse en moyenne N bagages par heure, combien deux bagagistes en ramasseront-ils ? 2N ? Oui, si l’on applique brutalement le calcul mathématique. C’est ce que l’on fait classiquement. Non, si l’on tient compte de ce que les hommes ne sont pas des objets théoriques dont on peut négliger le comportement. Pourquoi considérer qu’ils ne peuvent pas se mettre à discuter ensemble ou, à l’inverse, profiter chacun de l’expertise de l’autre pour accroître leur rendement individuel ? Les hommes ne sont pas des objets que l’on peut additionner ou multiplier. Faut-il s’en plaindre ?
Malgré tout, nous continuons à ramener le comportement humain à des équations simples et à manipuler les hommes à coup de règles de trois. Quelques exemples :
  • Dans la plupart des démarches de productivité, on calcule combien de temps en moyenne une personne met pour effectuer une tâche. Puis connaissant le nombre de tâches à effectuer par jour, on en déduit combien de personnes sont nécessaires. Comme s’il n’y avait aucun effet lié au nombre de personnes.
  • Pour accélérer le déroulement d’un projet informatique, on double le nombre de personnes impliquées en faisant l’hypothèse que le délai sera divisé par presque deux.
  •  Les approches sur les conséquences de la réduction du temps de travail, considèrent que la quantité de travail est une donnée qui se divise, se multiplie et se répartit. La réalité dément quotidiennement ces calculs. »
Comment ne pas voir dès lors l’absurdité de ramener la compétitivité des entreprises, au coût du travail en France ?
Comment ne pas voir que, en dehors des taches simples et répétitives qui ne représentent, Dieu merci, plus que la minorité du travail, la performance est d’abord liée à l’engagement individuel et collectif, au niveau de formation, à la capacité à travailler ensemble ou à la compréhension de son rôle dans un processus industriel complexe ?
Comment donc penser que c’est en agissant sur la variable du coût du travail, et en plus dans des proportions faibles, que l’on va redévelopper l’emploi industriel en France ?
C’est décidément bien peu comprendre ce que sont les réels modes de fonctionnement des entreprises, et ce qui fait la performance dans le monde globalisé de l’incertitude, le Neuromonde comme je l’appelle.
C’est aussi absurde que de penser, que l’on va mettre moins de temps pour aller de Paris à Lyon par autoroute, en changeant de voiture. Le temps de parcours dépend d’abord des embouteillages, des travaux éventuels et de la météo et du type de conduite. La voiture intervient bien peu, puisque toutes les voitures peuvent atteindre des vitesses moyennes largement supérieures à 130 km/h… Alors arrêtons de parler des voitures, et abordons les vrais sujets.
Est-ce être utopiste que d’espérer que les discours et les actes politiques se raccordent au réel et ne manipulent plus des fictions mathématiques ?