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9 avr. 2014

LA PUISSANCE DU COLLECTIF

Pour un Dirigeant porteur de sens et de compréhension (10)
Les questions que doit se poser tout dirigeant, chaque matin, en se rasant, sont : « Comment vais-je accroître la confiance dans mon entreprise ? », « Comment développer de nouvelles solidarités entre les équipes ? », « Comment renforcer la confiance des clients dans la performance de nos produits ? », « Quel élu dois-je voir cette semaine pour faire le point des actions communes à lancer ? », « Comment ne pas nous laisser embarquer dans une guerre totale et sans fin avec notre environnement ? »…
Et non pas celles de l’affrontement, ni du développement des peurs et des craintes comme : « Les commerciaux ne se défoncent pas assez, il faut que je pense à faire augmenter leur part variable. », « Nos laboratoires s’endorment, je vais lancer une compétition entre ceux qui sont en Asie et ceux qui sont en Europe. », « En faisant changer la réglementation, nous allons tuer tous les concurrents, et être enfin tranquilles. », « Diminuons de 10% le volume du produit par flacon, les clients n’y verront que du feu. »…
Et pourtant, beaucoup continuent à croire que la performance collective passe par la performance individuelle et la compétition interne. Pourquoi ? Par conformisme ? Par paresse ? Ou alors par expérience ? Mais cela voudrait dire que les expériences en entreprise viennent contredire toutes les analyses et recherches faites de par le monde (1).
Étrange, non ?
Repensez aux fourmis et aux abeilles, et à l’émergence de l’intelligence collective. Est-ce qu’il nous viendrait l’idée de mesurer la performance d’une fourmilière à l’aune de celle d’une fourmi, ou de considérer que la force d’une ruche est la multiplication de la force d’une abeille par le nombre d’abeilles ? A-t-on besoin de faire faire un cinquante mètres brasse à une fourmi de feu pour savoir si le radeau va flotter ? Non, n’est-ce pas ?
(…) Ainsi, c’est donc le système global, le collectif qu’il s’agit d’évaluer.

(1) Sur les effets néfastes des systèmes de management reposant sur les carottes à gagner et les primes, voir une animation qui illustre avec brio les vérités cachées sur ce qui nous motive vraiment : « The surprising truth about what motivates us »
(extrait des Radeaux de feu)

5 sept. 2012

NOUS N’ARRÊTONS PAS DE FAIRE DES ERREURS DE CALCUL

Nous sommes très sensibles à l’énoncé du problème (Neurosciences 23)
Nous voilà donc tous devenus statisticiens, des Monsieur Jourdain du calcul de probabilité. Mais sommes-nous de bons statisticiens ? Ou faisons-nous des erreurs de calculs quasi-systématiques ?
La réponse à cette deuxième question est malheureusement oui : nous nous trompons souvent, et ce en fonction de la formulation du problème. En effet, notre cerveau est fortement influencé par la perception qu’il a de la situation, de ce qu’il en comprend ou, si elle lui est présentée par un tiers, de comment cela a été fait.
Stanislas Dehaene reprend ainsi les travaux de 1981 de Amos Tversky et Daniel Kahneman, qui ont montré que nous étions influencés par la formulation d’un problème. Le cas présenté alors était le suivant :
-        Deux échantillons de personnes aux caractéristiques identiques sont soumis les unes au problème 1, les autres au problème 2 :
o   Problème 1 : Vous imaginez que les États-Unis se préparent à l’arrivée d’une maladie asiatique dont on pense qu’elle va tuer 600 personnes. Deux programmes alternatifs de lutte sont proposés :
§  Si le programme A est choisi, 200 personnes seront sauvés,
§  Si c’est le B, il y a 1/3 de chances que les 600 personnes seront sauvés, et 2/3 de chances que personne ne le soit.
o   Problème 2 : La situation est la même, mais les programmes proposés sont différents :
§  Si le programme C est adopté,  400 personnes mourront.
§  Si c’est le programme D,  il y a un 1/3 de chances que personne ne meure, et 2/3 que 600 meurent
-        Dans le problème 1, les personnes choisissent le programme A à 72%, alors que dans le problème 2, c’est le D qui est préféré par 78%.
-        Et pourtant les programmes respectivement A et C, B et D sont identiques.
Manifestement, notre cerveau statisticien n’a pas fait les calculs de la même façon : le fait d’affirmer que 400 personnes vont mourir de façon certaine est-il « vécu » comme une telle menace que le calcul en est faussé ? Est-ce que la formulation plus complexe des hypothèses B et D rend le calcul plus difficile, ce qui fait que nous traitons essentiellement l’énoncé des programmes A et C ?
Autre hypothèse avancée par Stanislas Dehaene : la difficulté du problème posé suppose un traitement conscient, et donc la mobilisation de notre espace de travail global, qui serait mal armé pour faire des calculs bayésiens Ce serait nos processus inconscients, ces processus ultrarapides et massivement parallèles qui seraient les plus efficaces pour évaluer correctement des plausibilités.
Finalement nos processus conscients ne seraient capables de traiter que des problèmes simples, et de type mono-causal.
A l’appui de ceci, Stanislas Dehaene reprend une autre expérience, celle menée en 2007 par Krynski, T. R., & Tenenbaum, J. B.. La question posée portait cette fois sur le cas du cancer :
-        0.3% des adultes de 60 ans sont atteints d’un cancer colorectal.
-        La moitié de ces cancers (50%) peuvent être détectés par un test.
-        Il y a 3% de chances que le test s’avère positif chez une personne qui n’a pas le cancer.
-        Si le test est positif, quelle est la probabilité que la personne ait effectivement un cancer?
Les résultats à ce test sont catastrophiques (essayez donc vous-mêmes de trouver la réponse) : les réponses des médecins allaient de 1 à 99%, et la moitié l’estiment à 50% ou 47%. Or la bonne réponse est 4,8%. (1)
Si maintenant, on introduit une donnée supplémentaire comme la présence d’un kyste, et que l’on formule le problème ainsi : « Il y a 0,3% des adultes qui ont un cancer, et 3% qui ont un kyste. Si l’on a un kyste, le test sera positif, alors que l’on n’a pas le cancer. », alors plus personne ne se trompe, et tout le monde arrive à un résultat voisin de la réalité. Et pourtant le problème reste le même.
Il semble bien que nous ne sachions traiter convenablement que les problèmes où le modèle causal est apparent…
(à suivre)
(1) Sur 10,000 personnes, 30 ont un cancer colorectal. Sur ces 30, la moitié, soit 15, auront un test positif. Sur les 9970 autres, 3% soit 299 auront un test positif. Parmi un échantillon de gens qui ont un test positif, quelle fraction ont vraiment un cancer ? La réponse est donc 15 / (15+299), soit 4.8%

19 juil. 2012

NOUS NE PERCEVRIONS LE PRÉSENT QUE COMME ÉCART PAR RAPPORT À NOS PRÉVISIONS

Le cerveau se ferait constamment une idée du futur qui l’attend (Neurosciences 20)
En quoi donc notre cerveau est-il concerné par les mathématiques bayésiennes et les calculs de probabilité ?
Voici de façon synthétique les raisons avancées par Stanislas Dehaene (1):
1. Ces inférences rendent compte des processus de perception : étant donné des entrées ambiguës, notre cerveau en reconstruit l’interprétation la plus probable.
En effet, notre vue ne transmet au cerveau qu’une photographie de ce qui nous entoure. Notamment la plus plupart de ce qui nous entoure est partiellement caché, et nous n’en voyons qu’une partie. En tenant compte de la succession des images transmises (qui vont révéler une partie de ce qui est caché) et de ce que nous avons appris depuis notre naissance, le cerveau va interpréter ces informations pour nous permettre de comprendre ce qui nous entoure. Par exemple, si nous voyons la tête d’un ami dépasser d’un mur, nous allons inférer que cet ami est bien présent derrière ce mur.
2. Nos décisions combinent un calcul bayésien des probabilités avec une estimation de la valeur probable et des conséquences de nos choix.
Prendre une décision suppose d’avoir construit une interprétation du monde qui nous entoure, ce à partir de ce que nous en percevons. Cette interprétation est issue de la valeur la plus probable, telle que calculée selon les mathématiques Bayésiennes. Par exemple, si nous devons parier sur la couleur d’une bille tirée d’une urne, nous allons spontanément ne prendre en compte que les couleurs étant apparues lors des tirages précédents.
3. L’architecture du cortex pourrait avoir évolué pour réaliser, à très grande vitesse et de façon massivement parallèle, des inférences Bayésiennes.
Sur la base de ce qu’il connaît, notre cerveau construit dynamiquement une projection du futur, tel qu’il devrait être, c’est-à-dire tel qu’il est le plus probable qu’il soit (codage prédictif). Ensuite, les informations issues de la situation réelle ne sont pas codées telles qu’elles apparaissent, mais en tant qu’écarts par rapport à cette prévision. Ainsi ce sont les différences et les nouveautés qui ont transmises (propagation des signaux d’erreur).
4. Le bébé semble doté, dès la naissance, de compétences pour le raisonnement plausible et l’apprentissage Bayésien.
Dès la naissance, nous serions capables de combiner de façon quasi optimale les a priori issus de notre évolution et les données reçues du monde extérieur. Ainsi la théorie Bayésienne résoudrait le dilemme classique entre les théories empiristes et nativistes. L’apprentissage du langage, la reconnaissance des mots, et la théorie de l’esprit pourraient également être modélisés comme des inférences Bayésiennes.
Telle est toute l’étendue de ce cours 2012. Vous percevez déjà l’importance des conséquences de cette nouvelle vision du fonctionnement du cerveau, ce notamment sur notre approche de l’incertitude : si notre cerveau est structurellement et intimement construit pour prévoir le futur à partir du passé et du présent, il n’est pas surprenant que nous ayons du mal à appréhender la nouveauté et les ruptures.
Tout ceci mérite bien sûr de s’attarder davantage.
C’est ce que je ferai à la rentrée, à compter du lundi 3 septembre. Je reviendrai alors plus en détail sur ce cours 2012, et sur ces conséquences pour le management des entreprises.
D’ici-là, mon blog va, comme tous les ans, prendre quelques vacances. Pendant celles-ci, sera diffusé, au rythme de deux articles par semaine (un le lundi, un le jeudi), un best of tiré des articles parus jusqu’à présent.
Pendant cette période, je vais aller me laisser perdre dans l’effervescence de l’Inde du Sud, occasion de nouvelles découvertes, de prise de recul, et aussi très probablement de commencement de la rédaction de mon prochain livre…
Avant cela, juste quelques lignes demain, comme un pont entre ici et là-bas...

(à suivre le 3/9/12)

(1) Pour ceux qui veulent plus de détails, le mieux est de suivre l’intégralité du cours 2012

18 juil. 2012

PRÉVOIR LE PASSÉ À PARTIR DU PRÉSENT

Comment imaginer ce que nous ne connaissons pas à partir de ce que nous voyons (Neurosciences 19)
Voilà donc notre cerveau qui, à l’instar de Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, manipulerait sans cesse des statistiques, et ferait des inférences Bayésiennes.
En paraphrasant les célèbres dialogues de Molière dans le Bourgeois gentilhomme, on pourrait dire en imaginant un dialogue entre Stanislas Dehaene et un grand bourgeois contemporain :
« Non, Monsieur : tout ce qui n'est point inférence Bayésienne est certain; et tout ce qui n'est point certain est inférence Bayésienne.
- Et comme l'on pense qu'est-ce que c'est donc que cela ?
- De l’inférence Bayésienne.
- Quoi ? Quand je pense : "Je regarde le ciel, et j’en conclus qu’il va pleuvoir," c'est de l’inférence Bayésienne ?
- Oui, monsieur.
- Par ma foi ! Il y a plus de quarante ans que je fais des inférences Bayésienne sans que j'en susse rien, et je vous suis le plus obligé du monde de m'avoir appris cela. »
Plus sérieusement de quoi s’agit-il ?
Faisons d’abord un flash-back au XVIIIème siècle, à l’époque où le révérend Thomas Blayes, pasteur dans la journée, écrivit un ouvrage, Une introduction à la doctrine des fluxions, et une défense des mathématiciens contre les objections faites à l'auteur de l'Analyse (sic !), ouvrage qui fut repris à sa mort par son ami Richard Price dans un essai intitulé Essai sur la manière de résoudre un problème dans la doctrine des risques.
Cet ouvrage institua ce qui fut appelé la «  règle de Bayes » et qui est une forme d’inversion du raisonnement suivi dans les probabilités :
-        Dans le calcul de probabilités, on cherche à avoir une idée du futur à partir de la situation actuelle : que risque-t-il d’arriver compte-tenu de tout ce que l’on sait de la situation actuelle (y compris de la situation passée).
-        Dans la « règle de Bayes », on cherche à partir de la situation actuelle et de tout ce que l’on en connaît, à imaginer ce qui a pu exister avant, et conduire à cette situation.
Pour être plus clair, prenons le cas d’une urne dans laquelle on procède à un tirage :
-        Si l’on procède à un raisonnement probabiliste, on va chercher à prévoir le futur tirage, et l’on va calculer les probabilités respectives, compte-tenu du contenu de l’urne : si l’urne contient p boules noires, et q boules rouges, on pourra dire que l’on aura soit une boule noire, soit une boule rouge, et les probabilités respectives seront de p/p+q et q/p+q.
-        Si l’on procède à une inférence Bayésienne, on va partir des tirages observés pour imaginer quel peut être le contenu de l’urne. Donc dans ce cas, comme on aura constaté que l’on n’a tiré que des boules noires et rouges, on inférera d’abord que l’urne ne doit contenir que des boules noires ou rouges. Ensuite en fonction du nombre de boules de chaque couleur, on inférera le nombre de boules probables se trouvant dans l’urne.
Mais comme dans la projection vers le futur, sauf à avoir accès au contenu de l’urne, on n’a pas de certitudes :
-        Ce n’est pas parce que, jusqu’à présent, on n’a tiré que des boules noires et rouges, qu’il est certain qu’il n’y a rien d’autres dans l’urne.
-        Le nombre de boules imaginé à partir du nombre de boules tirés n’est que le nombre le plus probable, ni plus, ni moins.
Ainsi les inférences Bayésiennes sont une forme de probabilités à rebours. Comme si un joueur au casino voulait savoir pourquoi il avait gagné ou perdu !
Mais en quoi cela concerne-t-il notre cerveau ?
(à suivre)

16 juil. 2012

ET SI LE PROPRE DE L’HOMME ÉTAIT L’AUTO-ÉVALUATION

Moi et les autres, est-ce si différent ? (Neurosciences 17)
Après avoir étudié les liens entre métacognition et conscience, Stanislas Dehaene en arrive à la question du lien entre métacognition et théorie de l’esprit : comment peut-on se représenter son propre esprit en train de se représenter une information ?
Précisons d’abord les quatre niveaux allant du fait vers la métacognition :
-        Fait : une voiture rouge est passée ce matin
-        Conscience primaire : j’ai vu (une voiture rouge passer ce matin)
-        Mémoire : je me souviens que (j’ai vu (une voiture rouge passer ce matin))
-        Méta-mémoire : je sais que (je me souviens que (j’ai vu (une voiture rouge passer ce matin)))
Il y a donc une forme de continuum entre la façon dont nous observons le monde qui nous entoure, et notre capacité à nous observer. Les expériences actuelles vont plus loin et semblent montrer qu’il y a un lien étroit entre la connaissance de l’autre et la connaissance de soi :
-        Elles se développent simultanément chez l’enfant,
-        Elles ne sont pas indépendantes et interagissent entre elles,
-        Elles font appel à un réseau similaire d’aires cérébrales
Finalement, il semble bien que nous utilisions le même format de représentation mentale et les mêmes aires cérébrales pour représenter notre esprit et celui des autres.
Que se passe-t-il alors quand nous travaillons en groupe ? Sommes-nous capables d’être collectivement plus efficaces que la seule somme de nos individualités prises séparément ?
Oui, à une condition : que l’on demande aux participants de se mettre d’accord. Intéressant, non ?
Voici l’expérience en question (1) :
-        On soumet simultanément deux personnes au même test. Si leur réponse diffère, les deux personnes échangent jusqu’à ce qu’elles se mettent d’accord.
-        La performance conjointe est meilleure que celle de chacun des individus, de leur moyenne, et même du meilleur des deux.
-        Ceci ne peut s’expliquer qu’en supposant que les participants échangent leur niveau de confiance sur ce qu’ils ont vu, et que l’on mobilise ainsi aussi des connaissances non-conscientes.
Stanislas Dehaene en conclut que le dialogue social améliore la performance humaine, et qu’il a donc été peut-être encouragé par l’évolution. Tout ceci apporte une nouvelle justification à mes développements sur la nécessité de la confrontation dans les entreprises, ce surtout en situation incertaine et mouvante (voir mes articles sur ce sujet)
Ce cours 2011 se termine par un détour dans le monde animal : les animaux disposent-ils d’une forme d’introspection ?
La réponse semble être positive :
  • Les singes savent quand ils se souviennent. Plus un singe risque de se tromper, plus il choisit de refuser de répondre : il écarte sélectivement les essais où il se juge (correctement!) incapable de répondre correctement.
  • L’estimation de l’incertitude semble faire partie intégrante de la décision. A ce titre, elle est présente chez de nombreuses espèces animales. Plus impressionnant est le fait que ces animaux parviennent à utiliser leur estimation de l’incertitude pour modifier leur comportement. Il s’agit véritablement d’un jugement de second ordre ou métacognitif (mais pas nécessairement conscient).
  • Cependant, les expériences de laboratoires posent toujours la question de l’entraînement intensif de l’animal… Une approche éthologique reste à mener afin de vérifier si de tels jugements sont utilisés en milieu naturel.
Ne sommes-nous donc que des « animaux-plus » ?  Probablement… et alors, est-ce un problème ? Notons qu’une des aires cérébrales qui nous distinguent le plus du reste du monde animal est l’aire 10 du cortex préfrontal, une aire qui interviendrait particulièrement dans l’auto-évaluation des performances et dans celle de sa situation personnelle, moi par rapport aux autres.
Le propre de l’homme ne serait-il donc plus le rire, mais la capacité à prendre du recul par rapport à lui-même et à se penser en tant qu’individu ?
Quelle belle chute non, pour ce cours sur la métacognition !
Demain, je poursuivrai avec le cours 2012, et la découverte du cerveau statisticien : sans le savoir, nous n’arrêterions pas de calculer des probabilités…
(à suivre)
(1) Expérience menée par Bahrami, B., Olsen, K., Latham, P. E., Roepstorff, A., Rees, G., & Frith, C. D. en 2010

12 juil. 2012

METTONS EN COMMUN NON SEULEMENT NOS CONNAISSANCES, MAIS AUSSI NOS DEGRÉS DE CONFIANCE

Nous avons une idée sur ce que nous n’avons pas vu (Neurosciences 16)
Quels sont donc les liens entre métacognition et conscience ?
Stanislas Dehaene commence avec cette question apparemment étrange : la métacognition est-elle possible en l’absence de conscience, ou, formulé autrement, pourrions-nous avoir accès à des informations sur nous-mêmes, sans que cet accès soit automatiquement conscient ? Ou encore pourrions-nous avoir un avis sans que nous le sachions, sans que nous nous en rendions compte ?
Eh bien, la réponse est oui !
Avant de donner les réponses apportées, reprécisons ce qu’est le jugement de confiance : c’est notre capacité à évaluer la confiance que nous accordons à nos réponses. Expérimentalement, il est possible de mesurer les deux éléments : quelle est la performance intrinsèque de nos réponses (est-ce que nous nous trompons) et de notre jugement de confiance (est-ce que nous nous évaluons correctement).
Les différentes études menées ont montré que ce jugement de confiance était une compétence en soi, c’est-à-dire que nous pouvions être capable d’avoir une évaluation correcte de notre performance, tout en nous trompant régulièrement.
Ainsi, dans des cas où des sujets disent n’avoir rien vu (cas de stimuli masqués), le jugement de confiance peut être meilleur que le hasard : on pourrait ainsi évaluer consciemment ce que l’on n’a perçu que de façon non-consciente. Si, au lieu de masquer les stimuli, on utilise des techniques de distraction attentionnelle pour rendre invisible les stimuli, la corrélation entre confiance et performance devient même correcte.
Stanislas Dehaene en conclut qu’une estimation élémentaire de l’incertitude accompagne chaque jugement perceptif, même inconscient. Il se pourrait que chaque aire cérébrale code à la fois le stimulus le plus probable qui explique les entrées sensorielles, ou la réponse la plus probable ou la plus renforcée dans ces circonstances, mais également l’incertitude associée à cette estimation, et peut-être même toute la distribution de probabilité associée
Ainsi même si nous n’exprimons qu’un seul résultat – celui qui nous pensons et disons avoir vu –, nous avons mémorisé toute une série de données qui nous permet d’avoir un avis sur le résultat donné. (1)
C’est ce qui expliquerait que nous puissions avoir un assez bon jugement sur notre propre degré d’erreur.
Au vu de ces éléments, nous devrions donc, dans les entreprises, demander à chacun, et singulièrement aux experts, un avis sur la fiabilité de ce qu’il avance. Si cela était fait brutalement, ce serait très probablement vécu comme une mise en accusation, voire une remise en cause des expertises. Or il n’en est rien : c’est bien d’une compétence indépendante qu’il s’agit.
Faisons donc de la pédagogie dans les entreprises, expliquons que chacun a deux compétences – ce qu’il sait, et la confiance qu’il a sur ce qu’il sait –, et mettons en commun les deux. Nous devrions échanger non seulement sur nos connaissances, mais aussi sur nos degrés de confiance en ce que nous savons. La performance globale en sera nettement améliorée…
(à suivre)

(1) Ce point sera repris longuement dans le cours 2012 sur lequel je viendrai plus tard

11 juil. 2012

SE TESTER SYSTÉMATIQUEMENT POUR MIEUX SE CONNAÎTRE ET MOINS SE TROMPER

Même de façon limitée, nous pouvons apprendre à mieux savoir (Neurosciences 15)
Si notre capacité métacognitive n’est pas une illusion, elle est à tout le moins très limitée, et beaucoup plus que nous le pensons souvent.
Non sans humour, à l’appui de son propos, Stanislas Dehaene reprend les propos tenus par Donald Rumsfeld, le 12 février 20002, concernant les armes de destruction massive soi-disant présentes en Irak : « As we know, there are known knowns; there are things we know we know. We also know there are known unknowns; that is to say we know there are some things we do not know. But there are also unknown unknowns -- the ones we don't know we don't know. » Une pensée digne du clair-obscur inventé par les peintres du XVIIème siècle !
Plus sérieusement, il insiste sur nos illusions métacognitives, singulièrement lorsque nous pensons approcher de la solution, ou lorsque nous pensons avoir suffisamment étudié une question. Rien de moins vrai : la seule chose qui soit vraiment régulière…est le fait que nous nous trompons !
Mais si l’erreur est constante, elle n’est pas totale : notre métacognition n’est pas totalement fausse. Il y a bien un lien entre sensation de savoir, et l’existence de ce savoir, mais un lien faible. Le problème est que cette corrélation nous conduit le plus souvent à surestimer nos compétences – nous savons moins que nous le croyons –,  et à parfois sous-estimer l’exactitude de nos intuitions – nous sentons mieux que nous le croyons.
Y a-t-il un moyen d’améliorer ces résultats ?
Oui d’abord en prenant son temps avant de porter notre jugement. Comme quoi, l’expression « tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de répondre » était fondée !
Oui surtout en se testant systématiquement et en faisant porter son effort d’apprentissage sur les items non-retenus.                                                                                                                                                                                                                                                                  
Ce deuxième point amène à souligner l’importance de la métacognition pour l’éducation et l’auto-éducation. Ainsi la représentation, par l'élève, des connaissances qu'il possède et de la façon dont il peut les améliorer est considéré, par certains pédagogues, comme un élément essentiel de l’éducation :
- Comment as-tu fait pour comprendre?
- Qu’est-ce que tu ne sais pas? Comment peux-tu trouver l’information pertinente?
- Comment peux-tu faire pour apprendre mieux?
Rôle essentiel donc de l’expérimentation sur nous-mêmes. Que l’on pourrait aussi utilement utiliser davantage dans les entreprises : ne devrait-on pas développer tous les boucles d’apprentissage et d’expérimentation ? Ne devrait-on plus se méfier des connaissances théoriques et universitaires ?
Retour à l’introspection : même très limitée, elle est réelle. Aussi d’où vient notre sentiment de savoir ?
- La familiarité : Il semble que nous sommes capables d’évaluer la familiarité d’un problème, c’est-à-dire sa proximité par rapport à ce qui existe dans notre mémoire. Ceci est vrai non seulement pour problèmes déjà traités, mais aussi pour des problèmes nouveaux, qui ressemblent aux anciens. Rien ne nous dit que nous allons trouver rapidement la solution, mais nous avons la conviction que c’est possible.
- Les fragments : Autre source, celle de l’accès à des informations partielles, car la présence de fragments de souvenirs peut conduire au sentiment de savoir, avec le risque que ces fragments ne soient en fait pas appropriés, et qu’alors le sentiment de savoir soit erroné.
Finalement notre capacité d’introspection est liée à cette évaluation de la mémoire – familiarité du problème et accès à des fragments – et à ce qui se trouve présentement dans notre espace de travail global.
Malheureusement ceci reste doublement limité, car notre espace de travail est lent et sériel, et surtout parce qu’il n’a pas accès aux traitements non-conscients. Notre introspection ne sait pas plonger dans l’iceberg de nos connaissances. Pour reprendre la terminologie développée par Jung, elle ne porte que sur le « moi », et pas sur le « soi »…
Mais est-ce si vrai et qu'en est-il des liens entre métacognition et conscience ?
(à suivre)

10 juil. 2012

NOUS SOMMES CAPABLES D’EXPLIQUER MÊME LES CHOIX QUE NOUS N’AVONS PAS FAITS !

Peut-on s’autoanalyser sans se tromper ? (Neurosciences 14)
Auguste Comte avait en son temps réfuté toute capacité à s’autoanalyser : « Il est sensible, en effet, que, par une nécessité invincible, l'esprit humain peut observer directement tous les phénomènes, excepté les siens propres. Car, par qui serait faite l'observation ? (…) L'individu pensant ne saurait se partager en deux, dont l'un raisonnerait, tandis que l'autre regarderait raisonner. L'organe observé et l'organe observateur étant, dans ce cas, identiques, comment l'observation pourrait-elle avoir lieu? Cette prétendue méthode psychologique est donc radicalement nulle dans son principe. » (1)
Comment Stanislas Dehaene arrive-t-il à « dépasser » ce paradoxe et expliquer comment une métacognition est possible ?
Tout d’abord en explicitant que, à la différence de ce que l’on pensait encore récemment, les processus mentaux ne constituent pas un système unique et centralisé, mais un ensemble de processus partiellement spécialisés qui échangent entre eux. Pour simplifier et en espérant que je ne trahis pas les propos de Dehaene, je dirais que la sensation d’être, la prise de décision, la pensée émergent d’une sorte de cacophonie interne. Un peu comme dans une agora grecque… Dès lors, il n’est pas exclus que certains « observent » d’autres. On pourrait même aller jusqu'à dire que « tout le monde » observe « tout le monde » !
Ensuite, en prenant acte du paradoxe de Comte comme expression de l’existence d’une limite : il est probablement impossible d’accéder à une introspection parfaite et complète. Ceci est inhérent d’ailleurs à l’existence à un processus non centralisé et émergent : comment pourrions être capable de parfaitement analyser un processus qui est largement aléatoire et hautement complexe ?
Cette limite de notre capacité d’introspection est montrée par de multiples expériences. Une des plus spectaculaires est celle conduite par Johansson, P., Hall, L., Sikstrom, S., & Olsson, A. en 2005. Elle se déroule ainsi :
-        En phase 1, la personne choisit parmi deux visages présentant une beauté similaire, celui qu’elle juge le plus attirant.
-        En phase 2, la personne reçoit la carte et explique les raisons de son choix. Or, dans 20% des cas, les cartes ont été échangées subrepticement. 74% de ces échanges ne sont pas détectés, ni immédiatement, ni rétrospectivement.
-        La personne se met alors à donner des « explications » de son choix, même si ce n’est pas celui qu’elle avait fait ! Ces explications sont données avec le même niveau de détail, la même confiance, la même tonalité émotionnelle.
Ainsi non seulement, notre capacité à nous souvenir des choix que nous faisons n’est pas très fiable – seulement un quart des substitutions est repéré…–, mais  surtout, nous inventons a posteriori les raisons de choix qui ne sont pas les nôtres !
Décidément notre introspection n’est pas très fiable… Si elle l’était, nous distinguerions à coup sûr les cas où nous savons que nous savons, et ceux que nous ne savons pas. Or bien souvent, nous ne savons pas que nous savons – ce sont toutes nos connaissances oubliées ou enfouies dans des zones inaccessibles à la conscience –,  ou pire nous croyons savoir, c’est-à-dire que nous ne savons pas que nous ne savons pas – ce sont nos faux souvenirs et toutes les justifications fictives de nos comportements.
A nouveau, ceci est lourd de conséquences pour le management des entreprises : comment se fiabiliser le processus de décision en tenant compte de ces limites ? Ce ne sera certainement pas par des processus bureaucratiques, multipliant des contrôles tatillons.  
Notons pour l’instant ce problème – j’y reviendrai plus loin –, et revenons au cours de Stanislas Dehaene.
Donc est-ce à dire que notre capacité d’introspection est illusoire ?
(à suivre)
(1) Auguste Comte, Cours de Philosophie Positive (1830-1842), Vol. 1, pp. 31-32

9 juil. 2012

PILOTAGE ET INTROSPECTION, LES DEUX MAMELLES DE LA MÉTACOGNITION

Comment relier nos actes et nos croyances sur nos actes (Neurosciences 13)
Savoir que l’on ne sait pas n’est pas surprenant. Mais savoir que l’on devrait savoir alors que l’on ne sait plus est déjà plus étrange. Et enfin, savoir quelque chose, tout en sachant que l’on n’est pas si sûr que cela de le savoir, devient un peu complexe, non ?
Voilà pourtant le cheminement de notre métacognition.
Posons d’abord quelques définitions, ce qui est toujours utile pour être sûr de savoir de quoi on parle :
-        Cognition : l’ensemble des processus mentaux qui nous permettent de traiter des informations (internes ou externes),
-        Métacognition: l’ensemble des connaissances et des croyances que nous possédons sur nos propres processus cognitifs (passés, présents ou futurs), ainsi que les processus qui permettent de les manipuler.
-        Méta-mémoire: nos connaissances et nos croyances sur nos processus de mémorisation et de récupération en mémoire
-        Introspection (littéralement le regard intérieur) : Capacité d’accéder consciemment à nos opérations mentales, et de les rapporter à nous-mêmes ou à autrui
Sur ces bases, Stanislas Dehaene présente un début de cadre théorique de la métacognition (1), qui distingue :
  • Les opérations mentales ou représentations,
  • Les méta-représentations, c’est-à-dire les connaissances que l’on a de ses représentations,
  • Le contrôle métacognitif qui va des méta-représentations vers les représentations, et assure une fonction de contrôle des représentations
  • L’introspection qui va des représentations aux méta-représentations et assure une fonction de régulation pour vérifier que les méta-représentations ne dérivent pas, d’où le nom aussi de « metacognitive monitoring ».
Tout ceci peut sembler en première lecture compliqué et obscur.
Pour le rendre plus lisible, je vais l’appliquer au cas de l’entreprise :
  • Les opérations, c’est-à-dire la réalité de l’entreprise, ce qui se passe concrètement dans les usines, chez les commerciaux, dans les laboratoires…
  • La Direction Générale qui se fait une idée de ce qui se passe dans l’entreprise, et correspond aux méta-représentations,
  • Les actions et décisions de la Direction Générale qui cherchent à piloter les opérations (ceci incluant la stratégie, les tableaux de bord, les arbitrages…), ce qui correspond au contrôle métacognitif
  • Les fonctions d’audit et les tableaux de bord qui cherchent à remonter vers la Direction générale la réalité des opérations, ce qui correspond à l’introspection
Tout devient plus clair, comme cela, et donne envie de continuer à suivre le cours de Stanislas Dehaene, non ?
(à suivre)
(1) Repris de Nelson, T.O. & Narens, L. (1990). Metamemory: A theoretical framework and some new findings. In G.H. Bower (Ed). The Psychology of Learning and Motivation, 26, 125-173. New York: Academic Press

5 juil. 2012

COMMENT PEUT-ON AVOIR UN AVIS SUR LA FIABILITÉ DE SES CONNAISSANCES ?

Je ne sais plus, mais je sais que je savais… (Neurosciences 12)
Stanislas Dehaene commence son cours 2011 sur l’introspection et la métacognition, aussi sous-titré, les mécanismes de la connaissance du soi, par deux citations :
-        La première est d’André Gide : « Je m'échappe sans cesse et ne comprends pas bien, lorsque je me regarde agir, que celui que je vois agir soit le même que celui qui regarde, et qui s’étonne, et doute qu’il puisse être acteur et contemplateur à la fois. » (1)
-    La seconde de Vladimir Nabokov : « Être conscient d’être conscient d’être… Si je sais non seulement que je suis, mais également que je sais que je le sais, alors j’appartiens à l’espèce humaine. Tout le reste en découle. » (2)
Comment fonctionnent ces boucles rétroactives de la connaissance sur soi-même, comment sommes-nous conscients d’être conscients ? Comment pouvons-nous avoir une représentation de nous-mêmes ? Tels sont les questions auxquelles il va s’atteler dans ce cours.
S’il est une partie des cours de Stanislas Dehaene qui interpelle fortement le mode de management des entreprises, c’est bien celle-là. En effet les problématiques de l’évaluation et du pilotage sont évidemment clés dans les entreprises. Comme vous allez le voir dans les articles à venir, les analyses et les études de Stanislas Dehaene apportent  des éclairages très intéressants…
Il commence par une double remarque :
-        Souvent nous ne pouvons pas nous souvenir d‘une réponse, mais nous savons que nous la connaissons ; nous disons alors que nous l’avons sur le bout de la langue. Mais comment diable savons que nous savons, alors que nous ne savons pas ? Étrange, non ? Aurions-nous une capacité d’autoévaluation de ce qui est accessible quelque part en nous, et que nous ne retrouvons plus. Un peu comme si nous étions face à une armoire fermée, dans laquelle se trouve ce que l’on cherche, mais dont nous aurions perdu la clé…
-        Si on me demande « Avez-vous déjà dansé avec telle actrice célèbre, par exemple Fanny Ardant ? », je vais répondre très facilement, car je sais que si j‘avais déjà dansé avec elle, je m’en souviendrais. Si maintenant, on me demande « Avez-vous déjà dansé avec une personne dont le prénom commençait par "Fa" », je vais être moins affirmatif, car je sais que je pourrais avoir oublié…
Au travers de ces deux exemples, on perçoit que non seulement nous avons un certain niveau de connaissance, mais aussi un degré de confiance sur ce niveau de connaissance : quand nous ne savons pas, nous savons que nous pourrions ; quand nous pensons savoir, nous avons une opinion sur la solidité de ce savoir.
Ce dernier point est majeur pour fiabiliser les processus de décision dans les entreprises : combien d’erreurs n’ont-elles pas été faites sur la base de croyances qui se sont révélées fausses ! Serait-il possible de se servir des travaux des neurosciences pour lutter contre ce risque ?
(à suivre)
(1) Les faux-monnayeurs, Le journal d’Édouard
(2) Strong Opinions