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21 avr. 2015

L'INCERTITUDE EST CRÉÉE PAR DES ORDRES, ET NON PAS PAR LE DÉSORDRE

Vidéo « Les Radeaux de feu »
Contrairement à ce qui est communément dit et pensé, ce n’est pas le désordre qui crée l’incertitude, mais des ordres dont l’évolution est imprévisible

28 nov. 2013

L'INCERTITUDE EST CRÉÉE PAR DES ORDRES, ET NON PAS PAR LE DÉSORDRE

Vidéo « Les Radeaux de feu » (4)
Contrairement à ce qui est communément dit et pensé, ce n’est pas le désordre qui crée l’incertitude, mais des ordres dont l’évolution est imprévisible

28 oct. 2013

POURQUOI TANT DE DÉSORDRE, IMPRÉVISIBILITÉ ET IRRÉVERSIBILITÉ ?

Les poupées minérales : l’expansion imprévisible (2)
Voici donc la triple logique de construction des poupées russes, de leur multiplication et de leur extension : plus de désordre, plus d’imprévisibilité, plus d’irréversibilité.
Mais, permettez-moi de poser une question irrévérencieuse au génial architecte qui, selon d’aucuns, serait peut-être à l’origine de notre univers, et qui en aurait défini les règles et le mode de construction : pourquoi diable, tant de désordre et d’incertitude, et, pourquoi n’avons-nous pas droit à la gomme pour effacer ce qui nous dérange ? Pourquoi nous avoir condamnés à la pagaille, l’anarchie et l’aléatoire, et à vivre à jamais avec les conséquences de nos erreurs ? Est-il un démon voulant rendre notre temps passé sur Terre le plus compliqué possible ? Bref, pourquoi nous a-t-il pourri à ce point notre existence ?
Il n’est jamais bon de s’apitoyer sur son sort, et il est toujours préférable de chercher une raison positive à ce que l’on vit comme une contrainte. Aussi plutôt que de se défouler les nerfs sur un créateur lointain et potentiel, interrogeons-nous sur l’utilité éventuelle de l’entropie et du chaos, et de l’irréversibilité qui va avec.
A quoi peuvent-ils bien servir ? En fait, ils sont indispensables au bon fonctionnement de notre monde :
- Le désordre et les processus chaotiques apportent la résilience, c’est-à-dire la capacité à résister aux aléas et aux turbulences : avec eux, les systèmes sont localement instables et imprévisibles, mais structurellement stables. Sans eux, ils seraient cassants et fragiles. Dans les tempêtes, il vaut mieux être roseau que chêne : « Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici contre leurs coups épouvantables résisté sans courber le dos ; mais attendons la fin ». Mais ces mouvements sont si rapides que nous avons à tort une image de la permanence et de l’immobilité : nous voyons les structures globales, celles qui restent peu ou prou inchangées, mais ni leurs ondulations, ni les trajectoires erratiques de toutes les particules qui les composent.
- L’irréversibilité permet la synchronicité des actions et la vie en commun. Imaginez que chacun d’entre nous puisse constamment revenir en arrière et changer un des paramètres. Comme il y a fort à parier qu’aucun de nous ne voudrait les mêmes modifications, notre univers serait instable, et nous n’aurions aucun présent en commun. Résilience et irréversibilité sont liées.
Donc si désordre, incertitude et irréversibilité sont en première analyse sources de souffrances et de complications, ils sont surtout indispensables à l’existence même de notre univers. Apprenons donc à faire avec.
(extrait des Radeaux de feu)

27 mars 2012

LA LOI DE L’ENTROPIE ACCROÎT L’IMPRÉVISIBILITÉ, ET NON PAS LE DÉSORDRE

Emboîtements, émergences et incertitude (2)
Depuis le Big-bang, l’univers suit la loi de l’entropie, et, classiquement, comme on dit que l’entropie mesure la quantité de désordre d’un système, le désordre s’accroîtrait. Mais posons-nous une question « simple » : que veut-dire le mot « désordre » et comment pourrais-je être sûr que son niveau s’accroît ? Est-ce que je peux mesurer dans l’absolu le désordre d’un système ? Ou est-ce que je ne le fais pas plutôt au regard d’un ordre, ou d’un ensemble de règles que je considère comme représentant ce qui est ordonné ?
En effet, le désordre ne peut se penser qu’en opposition à un ordre. Il n’existe pas par lui-même. Donc son niveau, non plus. Je ne peux donc pas dire que, dans l’absolu, le désordre d’un système s’accroît. Ce n’est que par rapport à mon référentiel, explicite ou implicite, qu’il s’accroît, en s’en écartant davantage.
Finalement le désordre est une affaire de point de vue, c’est un jugement que l’on porte sur une situation, ce n’est pas une donnée intrinsèque. Combien de fois n’avez-vous pas dit en voyant le bureau d’un collègue de bureau ou d’un de vos enfants : « Mais quel désordre ! Comment fais-tu pour retrouver quelque chose là-dedans ? ». Mais pour ce collègue ou cet enfant, le bureau n’est pas en désordre, et il sait très bien où se trouver chaque chose. Simplement son ordre n’est pas le vôtre. Peut-être que pour vous, ordre veut dire alignement et tas bien structurés, alors que pour lui, c’est une affaire de couleur et de proximité…
Revenons donc à l’entropie, et posons-nous la question suivante : qu’entendons-nous quand nous disons que le désordre s’accroît ? Puisque tout le monde l’affirme, et que tous les scientifiques sont d’accord sur le sens qu’il donne à cet accroissement, cela signifie donc qu’ils ont un référentiel, et que ce référentiel est commun. Sinon, pour les uns, le désordre s’accroîtrait, et pour d’autres pas.
Donc ce que l’on entend par « le désordre s’accroît », c’est que le système s’écarte davantage d’un même ensemble de règles, du même ordre.
Quel est cet ordre ? Je crois que cet ordre implicite est la prévisibilité des trajectoires individuelles de ce qui compose le système.
Reprenons en effet la définition de l’entropie issue de la physique statistique : l’entropie d’un système est fonction du nombre de configurations microscopiques que peuvent prendre les particules qui le composent, et, plus exactement, varie homothétiquement suivant le logarithme de ce nombre. Une configuration est à la fois une façon de placer les particules, et de leur distribuer l’énergie interne.
Donc, si l’entropie est nulle, cela signifie qu’il n’y a qu’une seule configuration, c’est-à-dire que toutes les particules ne peuvent être placées que d’une façon, et qu’il n’y a aussi qu’une façon de répartir l’énergie. On connaît alors exactement comment se trouvent les particules : aucune incertitude. Maintenant si l’entropie s’élève, le nombre de ces configurations s’accroît. Or, plus le nombre de configurations, c’est-à-dire d’états possibles, est grand, plus il est difficile de connaître l’état exact du système, et plus il est incertain et imprévisible.
Ainsi l’entropie ne varie pas en fonction du désordre, notion subjective et pour laquelle on manque d’un mètre étalon, mais en fonction de la prévisibilité. La loi de l’entropie pour un système isolé peut être reformulé comme suit : tout système isolé évolue spontanément en augmentant le nombre de ses possibles et devient d’instant en instant moins prévisible.
Or, l’univers dans sa totalité constitue par construction un système isolé, car, puisque il est considéré dans sa totalité, c’est-à-dire tel qu’il était au moment du big-bang, il ne peut rien exister en dehors de lui.
Aussi, l’Univers est, depuis le big-bang, de moins en moins prévisible, et accroît continûment le champ de ses possibles.
(à suivre)

20 févr. 2012

LE CHAOS NAÎT DE L’ORDRE LE PLUS SIMPLE ET LE PLUS RIGOUREUX

Comment se fait-il que les prévisions soient toujours fausses, du moins dès qu’elles ne portent pas sur l’immédiat ? Pourquoi les meilleurs experts n’arrivent-ils pas à démêler les fils de l’incertitude ?
Une des raisons essentielles – pour ne pas dire la principale – est que la quasi totalité des phénomènes de notre univers suivent ce que l’on appelle des processus chaotiques, et que, dans un processus chaotique, la moindre erreur initiale, même la plus petite, provoque des divergences non bornées.
De quoi s’agit-il ?

Tout d’abord, il n’a rien à voir avec le sens commun du mot « chaos ». Le chaos dont il s’agit ici n’est pas un état de désordre total, bien au contraire : c’est un état qui est soumis à des règles rigoureuses et précises, mais dont l’effet est de rendre imprévisible l’évolution future. Ou plus exactement, il suppose une précision infinie pour pouvoir prévoir l’évolution : dans un processus chaotique, la moindre erreur est fatale, car elle va s’amplifier, et sans que l’on puisse même la borner.


Prenons un exemple : portez un nombre au carré, multipliez le par 2, puis enlevez 1, ce qui s’écrit sous la forme suivante, 2x2-1. Simple et précis, non ? Comment imaginer que ceci peut donner naissance à un processus chaotique. C’est pourtant le cas.
Comment s’en rendre compte ? Pas compliqué : il vous suffit d’effectuer ce même calcul sur le nombre obtenu, et de le reproduire un grand nombre de fois, disons cinquante fois, pour que le résultat final soit chaotique, c’est-à-dire sensible à la moindre modification de la condition initiale.
Vous ne me croyez pas ? Eh bien, faisons le calcul ensemble. (cf. la courbe ci-jointe)
Prenons d’abord comme nombre initial 0,6. A la première itération, on obtient -0,28. A la suivante,  0,8432. Si l’on observe la série des 50 nombres obtenus, ce qui est déjà surprenant, c’est le caractère erratique des résultats. Pour ne donner que les quatre derniers : -0,99445693, 0,977889172, 0,912534467 et 0,665438307.
Faisons maintenant varier le nombre initial d’un millionième en le passant à 0,6000006, et observons ce qui se passe.
Au début, rien de bien particulier, on obtient des écarts minimes : -0,2799986 au lieu de -0,28, puis -0,8432016 au lieu de -0,8432.
Puis à partir de la seizième itération, les courbes divergent, et n’ont plus aucun rapport entre elles. Regardons les quatre dernières valeurs : 0,954941863, 0,823827922, 0,35738489, -0,744552081. Les écarts sont respectivement de 196%, 16%, 60% et 211% !
Donc une erreur initiale de un millionième a non seulement généré des écarts considérables, mais erratiques. Or tout ceci repose sur une équation à la fois précise et simple. Voilà le chaos : il combine rigueur, simplicité et aléa.
Or ces phénomènes ne sont pas des curiosités mathématiques, car notre monde est peuplé de processus chaotiques : l’hydrodynamique, l’électronique, les lasers ou l’acoustique... Bien plus, des systèmes très simples peuvent avoir un comportement chaotique non prévisible. Contrairement à ce qui semblait jusque-là une évidence, un comportement compliqué ne résulte pas forcément d’un système compliqué.
Poincaré, dès le début du vingtième siècle avait montré qu’un système composé de trois corps en interaction gravitationnelle, (comme par exemple, celui composé du Soleil, de Jupiter et de Saturne) avait en général un comportement chaotique. Dans le problème des trois corps, l’on est face à un système à neuf degrés de liberté, et on a montré plus tard que trois degrés. Il s’agit donc de systèmes extrêmement simples.
En un mot comme en cent, le chaos est partout !

Et j’entends encore des « experts » venir nous assener leurs certitudes, parce que le taux de croissance serait passé de 1,6 à 1,7 % ! Mais savent-ils seulement qu’ils sont incapables de le mesurer aussi précisément (voir Est-il raisonnable de continuer à déraisonner en économie ?), et que, en admettant qu’une évolution soit vraie, les conséquences en sont inconnues ?

Si tout cela n’était qu’un jeu de Monopoly et si tous les billes étaient sans valeur, ceci ne serait pas bien grave. Mais c’est avec les emplois et les revenus de tout un chacun qu’ils jouent…


19 janv. 2011

LES STRUCTURES RIGIDES SONT CASSANTES

Le flou est nécessaire à la performance à long terme

Hier je reprenais un passage de mon dernier livre, Les mers de l'incertitude, portant sur le rôle du chaos : le chaos n'est pas d'abord un problème, mais une solution, car c'est lui qui permet l'auto-organisation et la résilience des systèmes face à l'incertitude.

C'est aussi ce qu'a développé Edgar Morin à de multiples occasions, et notamment dans Introduction à la pensée complexe :
« Le facteur "Jeu" est un facteur de désordre mais aussi de souplesse : la volonté d'imposer à l'intérieur d'une entreprise un ordre implacable est non efficiente… On peut dire grossièrement que plus une organisation est complexe, plus elle tolère le désordre… A la limite, une organisation qui n'aurait que des libertés, et très peu d'ordre, se désintégrerait à moins qu'il y ait en complément de cette liberté une solidarité profonde entre ses membres. La solidarité vécue est la seule chose qui permette l'accroissement de complexité. »

On le voit quotidiennement que les systèmes rigides et parfaitement ordonnés sont cassants, et sont emportés dès que les conditions pour lesquels ils ont été créés changent.

Et pourtant, bien trop d'entreprises restent encore emprisonnées dans des structures figées, bien trop de dirigeants croient que c'est en définissant chaque tâche le plus précisément possible que l'efficacité sera garantie, bien trop de plans de productivité rendent les entreprises parfaitement ajustées et donc vulnérables … et bien trop d'entre nous attendent de leurs dirigeants – notamment politiques – qu'ils apportent des réponses définitives et prévisionnelles…

18 janv. 2011

LE CHAOS, VECTEUR DE STABILITÉ DE LA VIE ET DE PUISSANCE DU CERVEAU

La vie est faite d'ordre et de désordre

Le chaos sert-il à quelque chose ? Est-ce simplement une complication pour le plaisir de notre univers ? Le créateur, quel qu'il soit, a-t-il voulu nous jouer un mauvais tour en nous condamnant à vie à l'aléatoire : quoi que nous fassions, nous ne pourrons jamais prévoir ?

Non, car si le chaos est source d'incertitude, il aboutit aussi à des propriétés essentielles pour le développement de la nature et de la vie : il apporte la stabilité. Dualité de notre monde : sans incertitude, pas de stabilité.
En effet comment un système vivant peut-il perdurer malgré tous les aléas qui l'entourent et tous les changements constants ? Comment n'est-il pas détruit par toutes les perturbations venant de son environnement ? Comment notre écosystème peut-il survivre et évoluer ? C'est grâce à la stabilité structurelle apportée par le chaos.

Ainsi ce chaos qui nous brouille la vision du futur est aussi celui qui nous permet d'en avoir un : si notre avenir pouvait être prédit, la moindre perturbation viendrait tout détruire. C'est le flou qui permet la résilience. Pensez à la fable du chêne et du roseau : le chêne rigide casse, là où le roseau flexible survit. C'est un peu la même chose.

Un enseignement majeur à garder en tête pour le management des entreprises : quand une équipe de direction supprime le flou et le désordre, il rend l'entreprise cassante et fragile. Je reviendrai plus loin sur ce que j'appelle le risque de l'anorexie(1).
Enfin, il semble bien que le chaos soit aussi nécessaire aux fonctions cérébrales pour traiter de l'information : les systèmes chaotiques sont plus à même de réagir rapidement et de s'adapter à des aléas. Le chaos est probablement au cœur de la vie de nos neurones. Voilà notre cerveau qui, après s'être découvert impacté par la mécanique quantique, devient chaotique.

Extrait des Mers de l'incertitude

22 déc. 2010

POURQUOI AVONS-NOUS BESOIN D’EN APPELER À DES AUTORITÉS QUI NOUS DÉPASSENT ?

Nous sommes libres et responsables

Si l'on croît que le monde est régi par des logiques implacables et écrites à l'avance, on n'a plus d'autres choix que, soit de se résigner – à quoi bon entreprendre puisque tout a été écrit et décidé à l'avance ? -, soit d'en appeler à une force immanente capable, elle, de changer la logique du monde – à un Dieu qui serait le maître d'œuvre de ce monde que nous subissons, à des chefs cachés mais tout puissants qui manipulent la société.

Comme on a du mal à se résigner, on opte en général pour la deuxième solution et l'on imagine des Deus ex machina derrière tout ce qui se passe, en bien comme en mal. En caricaturant – mais si peu…–, cela donne le florilège suivant :
« Si les hommes existent, c'est qu'un Dieu l'a voulu et nous a créés. »
« Si le mal existe, c'est que les hommes ont commis, il y a très longtemps, un péché terrible, et qu'un Dieu les a punis. »
« Je ne sais pas pourquoi ceci arrive, mais eux, ils savent. Simplement, ils ne veulent pas me le dire. »
« Puisqu'ils sont à la tête des États ou des entreprises, ils savent pourquoi les choses adviennent, connaissent les conséquences de leurs actions, et décident en connaissance de cause. »

A l'inverse, si l'on croît que le monde est régi par un jeu complexe de lois contradictoires et que, du coup, l'évolution est imprévisible et est le résultat des actions locales et contingentes, on a tous les choix possibles, y compris de se sentir responsable de ce que l'on fait et décide, et ce sans avoir à en appeler à des autorités qui nous dépassent.
Cela donne alors le florilège suivant :
« Je suis né par hasard et personne n'attend rien de moi. Je suis donc libre. »
« Quand je serai mort, je n'existerai que dans la mémoire de ceux qui me survivront et par la trace de ce que j'aurai fait. Raison de plus pour agir de façon responsable. »
« Puisque rien n'est déterminé de façon fatale, comment pourrais-je accepter l'inacceptable sans agir contre ? »
« Personne n'est capable de savoir ce qui va se passer, ni les conséquences exactes de ce qu'il entreprend. C'est rassurant, car sinon, la vie pourrait être mise dans un système informatique. »

3 nov. 2010

LA VITALITÉ DE LA JUNGLE

Où la vie nait dans le désordre

J'aime profondément ma maison en Provence, mais chaque fois que je regarde la dureté de ce paysage fait de murs en pierre, de vignes et de chênes verts, je repense avec nostalgie à l'énergie verte de la jungle nord-thaïlandaise. Là-bas sous la puissance conjuguée de la chaleur et de l'eau, les plantes y ont une énergie incroyable et le vert y prend une couleur surnaturelle, noyée dans un jaune venu d'on ne sait où. Les bambous montent au ciel, le goudron des chaussées est dévoré par la force qui rampe sous lui, la nature est la vie et mange tout sur son passage.

A chaque fois que j'arrive au nord de Chiang Mai, je ressens cette bouffée de puissance qui me ressource. La nature y est violente, indisciplinée, sauvage. On la sent roder, prête à prendre le pas sur nous. En Europe, elle est disciplinée, construite, reconstruite, artificielle. Nous ne pouvons pas avoir peur d'elle, car nous l'avons domestiquée. Le moindre sursaut de sa part nous inquiète : un peu de neige, un hiver un peu plus froid, un été un peu plus chaud, et rien ne va plus.

En dehors de l'Europe, rien de tel. Quand il pleut, les flots submergent vite champs, routes et même trottoirs. Il n'est pas rare à Calcutta de marcher avec l'eau au-dessus du genou. Imaginer si cela se produisait à Paris ! Les villes nord-américaines sont aussi moins assagies aussi que les nôtres : chaque année ou presque Washington ferme en hiver pour cause d'intempéries. Pendant quelques jours, plus d'écoles, plus de travail, plus de supermarché, chacun reste chez soi, enfermé… En Europe, le thermomètre ne va pas dans ces extrêmes.

Marcher dans la jungle, c'est une immersion énergétique ; plonger dans ce vert, c'est un bain de boue de vitalité. Alors, je ressens cette bouffée de puissance qui me ressource. La nature y est violente, indisciplinée, sauvage, mais vivante. On la sent roder, prête à prendre le pas sur nous. Elle pousse à la vigilance, car sa puissance sauvage n'attend qu'un relâchement de l'homme pour reprendre le dessus : l'entretien oublié d'une route, la peinture d'une façade non renouvelée, les jeunes pousses laissées prendre goût à l'énergie de leurs croissances potentielles, et tout explose, plus de route, plus de maison, juste du vert qui se propage et se multiplie.

En miroir à cette puissance sauvage, les rues de Calcutta vibrent d'une énergie vibrionnaire. Comme la jungle, elles sont le lieu du combat entre ordre et désordre. En marchant dans ces rues, je suis plongé dans la vision de la vie d'Edgard Morin : tout se fait dans un désordre qui peut nous faire croire à l'inefficacité globale, mais comme dans la jungle, la vie nait de ce désordre. Comme l'a théorisé Edgar Morin – un peu de théorie, à condition qu'elle soit construite avec autant de talent, apporte à la compréhension du monde –, la vie a besoin d'un cocktail d'ordres et de désordres, de laisser faire avec quelques règles qui régissent le fonctionnement. L'Inde – et singulièrement Calcutta – en est l'incarnation, avec un minimum de règles.

Quand je compare Paris à Calcutta, je retrouve le parallélisme entre la Provence et la jungle : l'un est ordonné, structuré, fortement minéral, largement artificiel ; l'autre est foisonnant, aléatoire, biologique, fortement spontané.

7 juin 2010

LA VIE NAÎT DU DÉSORDRE

C'est beau la vie, mais quelle pagaille !

Poursuite de la promenade au sein des « Mers de l'incertitude » avec des extraits issus de la première partie et portant sur la vie et l'évolution.

« Quand je me penche à l'intérieur de la vie pour voir un peu ce qui se passe, je n'y trouve que des séries de désordres emboîtés les uns dans les autres : chaque fois que j'ouvre la poupée d'un niveau, j'en trouve une autre plus petite, à l'intérieur. Interminable jeu de poupées russes.
A chaque niveau, l'instabilité est la règle, et seul le mouvement permet au système de tenir debout et d'avancer. Ainsi ce ne sont pas des poupées russes qui sont emboîtées, mais plutôt des « vélos russes » : des vélos qui pédalent sans cesse emboîtés les uns dans les autres. Chaque particule de matière infinitésimale va de déséquilibre en déséquilibre ; chaque cellule est composée d'une multitude de particules qui entrent et sortent de la cellule ; chaque être vivant est un ensemble dynamique de cellules qui collaborent provisoirement, naissent et meurent sans cesse, s'hybrident constamment avec le dehors. Et, cerise sur le gâteau, nous, humains, nous avons en plus un cerveau sophistiqué composé de milliards de neurones et d'un nombre quasi incalculable de connexions synaptiques : le tout n'arrête pas d'intégrer de nouvelles informations, de recomposer ses interprétations passées et d'en construire de nouvelles. Nous ne sommes donc qu'un gigantesque désordre, une pagaille à faire peur si nous pouvions la voir.
De tout cela, émergent notre conscience et notre conviction d'exister, c'est-à-dire une sensation de continuité et de responsabilité dans le temps : je suis celui que j'ai été et je me sens responsable de ce que j'ai fait. Nos systèmes de pensée et de droit sont fondés sur ce sentiment d'identité et de responsabilité.
Ainsi de ce fouillis indescriptible, de ces vélos russes qui tournent sans cesse les uns dans les autres, sommes-nous nés. (…)

Ordre et désordre sont donc indissociables : c'est la présence des deux qui apporte à la vie la capacité à s'adapter, indispensable pour inventer par tâtonnements et ajustements successifs, et la continuité, nécessaire à la construction de l'identité et de l'expérience.
La vie se nourrit aussi d'elle-même : tout organisme vivant absorbe constamment d'autres organismes vivants, avant d'être lui-même absorbé. Nous sommes tous des cannibales du vivant.
Pour être vivante, l'entreprise a besoin aussi de dualité et de cannibalisme : une forme d'ADN qui va lui apporter stabilité et continuité, des réactifs élémentaires changeants et volatils capables de se composer et décomposer rapidement ; la croissance externe qui est une des sources essentielles de son développement, en lui permettant d'absorber l'énergie accumulée par les autres. »
1

(1) Extraits des Mers de l'incertitude p.57-58 et 60

21 sept. 2009

SÉPARATION ET RÉUNION, DÉSORDRE ET ORDRE SONT INDISSOCIABLES

La vie est faite de poupées russes
Prenez un livre : Il est composé de phrases, elles-mêmes composées de mots, à leur tour composés de lettres. Emboîtement de poupées russes. Chacun de ces niveaux suit des règles qui lui sont propres : seules certaines successions de lettres donnent à des mots et des règles de composition s'appliquent ; toutes les suites de mots n'aboutissent pas à une phrase qui ait un sens et des règles de grammaire doivent être respectées ; la suite des phrases doit aboutir à une histoire, structurée ou non, qui correspond à la signification visée.
Si l'on observe le livre, Il y a des blancs, c'est-à-dire des espaces, qui ne portent en eux-mêmes aucun sens. Pourtant, si vous enlevez ces espaces, vous n'avez plus que des lettres dont n'émergent plus ni les mots, ni les phrases, ni le livre. Ces espaces qui séparent des lettres pour définir le début et la fin des mots créent un nouveau type de lien, un lien entre les mots ainsi définis : ces espaces séparent et réunissent.
De même la membrane qui limite une cellule est ce qui la définit et la circonscrit : sans cette membrane, pas de cellule. Mais cette membrane, c'est aussi ce par quoi la cellule échange avec le reste du monde, avec les autres cellules et avec ces éléments dont elle a besoin pour vivre. C'est aussi grâce à la membrane qu'elle va pouvoir s'unir avec d'autres cellules pour aller composer un groupe de cellules, et progressivement construire le niveau supérieur. A nouveau, la membrane sépare et réunit.

La nature est ainsi bâtie autour de séparations/réunions qui articulent et distinguent. Les deux propriétés sont inséparables et sont réalisées indistinctement : elles donnent vie aux « poupées russes ». Ce sont elles qui contribuent à la solidité de chaque niveau, de chaque « poupée » ; ce sont elles qui assurent les emboitements et les circulations nécessaires entre niveaux.
C'est cette articulation qui permet l'émergence des nouvelles propriétés au niveau supérieur. Finalement, le tout n'est donc pas la simple addition des fonctionnements des parties qui le composent. Il n'est même pas du tout cela : chaque niveau est composé de sous-éléments, mais il a aussi sa propre logique et des propriétés spécifiques émergent, propriétés qui n'existaient pas au niveau inférieur. Un mot n'est pas seulement une suite de lettres, il a un sens propre ; la phrase aussi par rapport aux mots et le livre par rapport aux phrases. On passe des propriétés physiques des atomes aux propriétés chimiques des molécules ; puis de celles-ci aux propriétés biologiques des cellules vivantes ; puis aux propriétés psychologiques du comportement animal et à l'esprit humain ; et enfin aux propriétés sociologiques des groupes humains.


Notamment les propriétés biologiques de la vie acquièrent une caractéristique clé. Au cœur de la vie, se trouvent l'ADN et les acides aminés : l'un, l'ADN, est un système stable, capable de se reproduire, portant en lui mémoire et hérédité ; les autres, les acides aminés, sont multiples, très instables, se dégradent et se recomposent sans cesse selon des impulsions venant de l'ADN. « Autrement dit, il y a deux logiques : l'une celle d'une protéine instable, qui vit en contact avec le milieu, qui permet l'instance phénoménale, et l'autre qui assure la reproduction. Ces deux principes ne sont pas seulement juxtaposés, ils sont nécessaires l'un à l'autre. » (Edgar Morin, Introduction à la pensée complexe, p.99).
Ordre et désordre sont donc indissociables : c'est la présence des deux qui apporte à la vie la capacité à s'adapter, indispensable à inventer par tâtonnements et ajustements successifs, et la continuité, nécessaire à la construction de l'identité et de l'expérience. 
L'entreprise est elle aussi faite de poupées russes emboîtées ; pour vivre, elle a elle aussi besoin de dualité : une forme d'ADN qui va lui apporter stabilité et continuité, des réactifs élémentaires changeants et volatils capables de se composer et décomposer rapidement.

3 juil. 2009

« DEVENEZ BEAU, RICHE ET INTELLIGENT AVEC POWERPOINT, EXCEL ET WORD »

La complexité du monde est telle qu'on ne contrôle plus rien et, à défaut de contrôler, on déguise…

Mon article « Prévoir, c'est aller contre la logique de notre monde » a été publié sur AgoraVox et, grâce à un commentaire, j'ai pu découvrir « Devenez beau, riche et intelligent avec PowerPoint, Excel et Word » de Rafi Haladjian qui venait en écho avec l'absurdité des prévisions.

En voici quelques extraits :

« Car, quoi qu'on fasse, il est peu probable qu'il se trouvera beaucoup de dirigeants ayant l'honnêteté ultime d'avouer leur véritable secret : la complexité du monde est telle qu'on ne contrôle plus rien et, à défaut de contrôler, on déguise. Et pourtant il serait sain de répéter franchement ce refrain : notre environnement est devenu extrêmement complexe et nous ne sommes plus capables d'en prévoir les comportements. Voilà. Il n'y a pas de honte à cela… Pour elles, l'Incertitude est une hérésie, un état accidentel dû à un manque de statistiques ou de théories disponibles. Laissez-leur du temps, elles trouveront la loi universelle pour expliquer

les phénomènes et vendre leurs prédictions. Il va pourtant falloir nous faire à un état d'incertitude permanent et tout réinventer pour vivre sereinement avec. La certitude est aujourd'hui mortelle, et entretenir l'illusion d'un monde maîtrisé et mécaniquement prévisible peut être criminel. Le monde ne ressemble pas à Excel.

À qui parlez-vous vraiment ? Qui est qui ? Qui fait quoi ? Quel est le produit ? Qui fournit quoi ? Qui est mon fournisseur ? Qui est mon concurrent ? Quel est mon territoire ? Chaque objet a du mal à dire son nom, à s'ancrer dans un qualificatif qui le rendrait manipulable. Par la combinaison des sujets les uns avec les autres, leur grande interconnexion, leur interdépendance permanente, leur jeu de réaction et d'adaptation, notre paysage devient visqueux. Savez-vous encore tracer un cercle précis autour des choses, les délimiter, saisir tous les états d'un environnement polymorphe et en permanente mutation ? Les approches réductrices, discrètes, deviennent arbitraires et intenables. Sur toutes nos photos le sujet a bougé et le résultat est flou.

Un grand tableau Excel (comme par exemple un business plan quinquennal) est avant tout un Système Complexe. Il n'est pas seulement la somme de quelques fonctions isolées scotchées ensemble. Un business n'est qu'un fragment d'un environnement plus large, un pauvre m² dans le grand tableur de l'univers, une fenêtre ouverte sur une portion de l'écosystème dans lequel il s'inscrit. Vous pouvez à la rigueur modéliser un écosystème, en suivre les évolutions. Mais il reste hasardeux d'investir dans ses comportements futurs. Dans un tableur idéal, le froissement des ailes d'un papillon dans la cellule A1 devrait pouvoir provoquer un cataclysme dans la cellule IV65536… Nous sommes ici dans l'univers déterministe hérité de Laplace, pur produit du début de l'ère industrielle. Selon cette approche mécaniste, dès lors qu'on dispose de toute l'information statistique, de l'intelligence nécessaire et de la force de calcul, il n'est pas impossible de prévoir n'importe quel événement du passé ou de l'avenir. Excel apporte le calcul, vous apportez l'intelligence, et à vous deux vous pouvez envahir le futur.

Avec la mondialisation et l'interconnexion globale, le nombre de pièces à bouger a augmenté ; l'échiquier s'est restreint en s'élargissant ; le nombre de joueurs se situe entre l'indéfini et l'infini. La règle n'a pas changé, mais le nombre de mouvements possibles dans le jeu s'est exponentiellement accru. L'ancienne économie ne connaissait que le durable et le certain. Elle a appliqué ses grilles de lecture à la nouvelle économie. Elle a cru aux résultats projetés des startups puisque ceux-ci étaient obtenus par ses procédés séculaires. Elle a forcé les entrepreneurs à lui mentir et, cocue, elle le leur a reproché. C'est de la collision de l'ancienne et de la nouvelle économie qu'est née l'absurdité des valorisations.

Mais, alors que nous voyons se liquéfier le futur, les docteurs, savants et professeurs de la finance continuent à vous poser la question rituelle : « Comment voyez-vous votre entreprise dans cinq ans ? » Qui a dit que toute entreprise est forcément faite pour durer ? Qu'elle est créée pour quatre-vingt-dix-neuf ans comme le prévoient en standard les statuts des sociétés françaises ? Que l'éternité est souhaitable ? Dans l'industrie du cinéma, chaque film est une entreprise qui réunit, pendant un certain nombre de mois, une équipe, une organisation, un budget ; cette entreprise produit ses résultats puis disparaît. Après une plus ou moins brillante carrière, ces films retombent dans le fond des cassettes toujours disponibles de votre vidéo-club. Ne peut-on pas concevoir des entreprises sur le même modèle ? Des entreprises « jetables », ou des méta-entreprises qui feraient des projets jetables ?

Or, dans un environnement complexe, les changements ne sont jamais linéaires, jamais dans la continuité logique de ce qui précède et par là même impossibles à anticiper en suivant les sentiers balisés de la sacro-sainte expérience. L'attitude adulte extrême d'aujourd'hui, la méta-expérience serait de dire : « Nous n'avons pensé à rien, c'est pourquoi nous sommes capables de parer à toute éventualité. »

En somme, il vaut mieux dire « on verra bien » que de chanter « on a tout prévu ». Mais qui est prêt à entendre le message de l'incertitude assumée, de l'Incertitude professionnelle ? Soumises à la pression de leurs actionnaires vieux baby boomers et par contrecoup de leurs dirigeants jeunes baby boomers, les entreprises essayent d'évacuer l'Incertitude en la transférant à leurs fournisseurs et sous-traitants. »

29 juin 2009

APPRENEZ À BRACONNER DU TEMPS « LIBRE »

Cacher du temps comme on cache des réserves de budget…

A l'issue de ma conférence faite en mai autour du « Lâcher-prise » (voir Lâcher-prise pour manager), une personne – une femme, cadre supérieur dans un grand groupe – qui avait assisté vint me demander :

« Vous avez dit tout à l'heure qu'il fallait avoir une partie de temps non finalisé si l'on veut innover, si l'on veut arriver à faire le vide. Je suis d'accord avec vous, mais ce n'est pas compatible avec la pression mise par la Direction Générale. Comment faire ?

- Tout d'abord, c'est pour cette raison que je travaille auprès des Directions Générales pour leur faire prendre conscience du danger de la pression permanente actuelle et de la confusion faite entre efficacité et occupation. Mais quelle solution dans votre cas, car vous n'allez pas attendre que votre Direction Générale ait changé ?

Ma recommandation est la suivante. Je crois qu'il faut procéder avec le temps comme avec la prévision budgétaire. Vous savez comme moi que tout responsable d'une unité – filiale ou département – « cache » des réserves au moment de la négociation budgétaire. C'est ce qui va lui permettre de faire face à des imprévus et de lisser ses résultats. La Direction générale le sait – tout Directeur général a été Directeur de filiale ou de département… - et le tolère, car c'est une souplesse nécessaire au bon fonctionnement de l'ensemble. Ceci, bien sûr, à condition que cela reste dans des proportions limitées et que cela ne soit pas un détournement de fonds.

Eh bien, je crois qu'il faut faire pareil avec votre temps. « Cachez » du temps pour en avoir de libre et non affecté. Comme pour le budget, faites-le dans des proportions raisonnables. Vous en serez d'autant plus innovatrices et moins sensibles aux modes et humeurs… et la Direction Générale vous en saura gré, même si elle ne sait pas comment vous avez réellement fait. »

Ces espaces de liberté, de braconnage sont nécessaires au bon fonctionnement des entreprises.

Comme l'écrit Edgar Morin dans Introduction à la pensée complexe : « Finalement, les réseaux informels, les résistances collaboratrices, les autonomies, les désordres sont des ingrédients nécessaires à la vitalité des entreprises. »

5 juin 2009

LE TGV NE CRÉE PAS UN FUTUR ÉCRIT À L’AVANCE

Les technologies sont souvent plus « neutres » qu'on ne le pense



Faisons ensemble un petit retour en arrière imaginaire. Nous sommes quelques semaines avant le lancement de la ligne TGV entre Paris et Lyon.
Ce jour-là, pour mieux comprendre les conséquences économiques de la mise en service de cette infrastructure majeure, deux réunions ont lieu, chacune regroupant un ensemble de responsables lyonnais.
Dans l'une, le premier intervenant, un homme respecté et connu de tous, s'exprime ainsi : « C'est clair, avec Paris bientôt à 2 heures de Lyon, nous devons nous faire aucune illusion : tout va être recentralisé à Paris. En effet, c'est déjà la tendance naturelle en France, alors vous pensez bien que cela va être encore pire : ils vont pouvoir faire l'aller-retour dans la demi-journée ! ». Du coup, suite à cette intervention, tout le groupe part sur cette hypothèse et conclut sur un affaiblissement de Lyon à cause du TGV.
Dans l'autre groupe, tout commence bien différemment. « Quelle chance pour nous que ce TGV, dit celui qui ouvre les débats. Avec Paris à 2 heures de Lyon, pourquoi continuer à habiter Paris ? Nous allons enfin pouvoir avoir facilement à Lyon des sièges nationaux. En effet, je ne fais que rencontrer des parisiens fatigués de leur ville, alors vous pensez bien qu'ils vont sauter sur cette opportunité : ils vont pouvoir faire l'aller-retour dans la demi-journée ! ». Du coup, tout le groupe, comme un seul homme, suit cette position et conclut à un renforcement de Lyon à cause du TGV.
Qui avait tort ? Qui avait raison ? Les deux…. Tout allait dépendre de ce que l'on faisait du TGV…
Je pense qu'il en est ainsi des technologies nouvelles : la plupart d'entre elles n'induisent pas nécessairement le sens de l'évolution future. Elles ouvrent de nouvelles opportunités, déforment la situation initiale, mais ne créent que rarement un futur prédéfini.

Je suis frappé à ce titre par les conséquences de la mise en œuvre des technologies de l'information dans les entreprises : dans certains cas, elles sont l'occasion du renforcement de la centralisation et du pouvoir du siège. Dans d'autres, elles permettent la mise en place d'une réelle décentralisation…

4 juin 2009

HASARD ET ÉMERGENCE, LE « YIN ET YANG » DE L’ÉVOLUTION


Peut-on prévoir ?

Le hasard est tout autour de nous : Soit parce que deux situations ne sont jamais vraiment identiques – nous ne savons pas lancer deux fois de suite les dés de la même façon –, soit parce que les interactions sont multiples et imprévisibles – il y a une infinité de « battements d'ailes de papillon » –, tous les systèmes complexes divergent. Le futur est aléatoire, et tout « arrive par hasard et pour rien ».

Ce qui existe est simplement ce qui a émergé : Il n'y a pas de plan a priori et le développement naît des rencontres accidentelles – le moustique pique parce qu'un appendice prévu pour boire de l'eau a pénétré la peau par accident –. Entre deux solutions possibles, une solution s'est développée plutôt qu'une autre, simplement parce que c'est elle qui s'est développée : tout ce qui est possible peut exister, et ce n'est pas le meilleur qui gagne, mais juste celui qui a gagné…

En conséquence, il est illusoire de vouloir prévoir dans le détail. Il est par contre efficace d'apprendre à « lire » les situations pour identifier les émergences en cours

22 mai 2009

Lâcher prise pour manager

Effet miroir sur mes écrits récents…

Mardi dernier, j'ai fait une conférence autour de « Lâcher prise pour manager ».

L'une des participants en a extrait les 6 points qui lui ont paru essentiel. J'ai pensé utile de partager avec vous ce retour qui peut servir de guide au sein des différents articles parus sur mon blog.

Voilà donc cette liste avec les liens vers les articles correspondants :

1. Faire le vide pour se donner une chance de comprendre

- Savoir se voir à distance

- Ne nous laissons pas berner par la « magie des battements de l'aile d'un papillon »

- Pourquoi l'entreprise doit apprendre à faire le vide

- Je n'ai jamais vu un fleuve qui ne finissait pas aller à la mer

- En Chine, notre culture nous trompe

- Difficile d'accepter que mes doigts « savent mieux » que moi où sont les touches

2. Plus je connais mon métier, moins je comprends mon client

- Comment lire derrière les apparences ?

- Sans effets miroirs, les entreprises ne peuvent pas restées connectées au réel

- Quand on se pose une question qui n'existe pas

- Quand l'entreprise est trompée par sa trop grande expertise

3. Ajuster le niveau de précision aux situations

- On n'a pas besoin du même niveau pour partir en voiture que pour prendre le train

- Situation adresse ou téléphone ?

4. Nous aimons trop les jardins à la française

- Quand désordre rime avec harmonie et efficacité

- L'uniforme produit plus d'appauvrissement que d'efficacité

- Nous aimons trop les jardins à la française

5. Apprendre à se confronter

- Se croire invulnérable tue

- La confrontation, c'est la vie

- Se confronter en interne pour fiabiliser les décisions

- La confrontation n'est pas naturelle

- Savoir comprendre et respecter le point de vue d l'autre

- C'est quand tout se passe bien qu'il faut s'inquiéter

- C'est quand tout le monde est d'accord qu'il faut s'inquiéter

6. Ni tout puissant, ni divin mystique, ni mathématico-maniaque… Soyez juste vous-mêmes

- Piloter, c'est lâcher prise

- Rambo, c'est moi ?

29 avr. 2009

ALÉATOIRE, CHAOS ET SYSTÈMES VIVANTS

Promenade au sein du livre de Stewart « Dieu joue-t-il aux dés ? Les mathématiques du chaos », l'occasion de se poser quelques questions intéressantes…

Peut-on renouveler à l'identique une expérience ?

« Il est possible de répéter l'expérience avec apparemment le même boulet de canon, apparemment au même endroit et apparemment avec la même vitesse initiale, mais on ne peut contrôler individuellement tous les atomes afin de reproduire exactement le même état initial avec une précision infinie. En fait à chaque fois que l'on touche le boulet, quelques atomes sont arrachés à sa surface alors que d'autres sont transférés, ce qui donne des états différents à chaque essai. »

Quelle différence entre des systèmes réellement aléatoires et des systèmes chaotiques ?

« Il sera dit aléatoire si des états apparemment identiques débouchent presque immédiatement sur des résultats différents... L'effet papillon vous interdit des prédictions à long terme mais le déterminisme du chaos rend votre système prévisible à court terme… Le chaos est un mécanisme permettant d'extraire et de mettre au jour l'aléatoire qui réside dans les conditions initiales… Si nous connaissions ces « variables cachées » appartenant au plus grand système, nous arrêterions de croire que le sous-système est aléatoire. Supposons maintenant que nous nous intéressons un système réel que nous pensons aléatoire. Cet état de fait peut être dû à deux raisons : soit nous n'avons pas examiné le système avec assez d'attention, soit celui-ci est irréductiblement aléatoire.

Peut-on prévoir une évolution à long terme ?

« Mais lors même que les lois naturelles n'auraient plus de secrets pour nous, nous ne pourrons connaître la situation initiale qu'approximativement. Si cela nous permet de prévoir la situation ultérieure avec la même approximation, c'est tout ce qu'il nous faut, nous disons que le phénomène a été prévu, qu'il est régi par des lois ; mais il n'en est pas toujours ainsi, il peut arriver que de petites différences dans les conditions initiales en engendrent de très grandes dans les phénomènes finaux ; une petite erreur sur les premières produirait une erreur énorme sur les derniers. La prédiction devient impossible et nous avons le phénomène fortuit... Et c'est pourquoi mon cœur bat et que j'attends tout du hasard (Henri Poincaré, sciences et méthodes). »

Le chaos est-il un mécanisme du vivant ?

« Une des raisons du pouvoir d'attraction qu'exercent ces fables tient à une mauvaise compréhension de ce qu'est la stabilité de la nature. Il est clair qu'un écosystème viable doit être d'une certaine manière stable, sinon il ne pourrait continuer d'exister (c'est la signification même du mot « viable »). Jusqu'à une époque récente, le paradigme de la stabilité était l'équilibre. Par conséquent, il se trouve de nombreuses personnes pour argumenter qu'un écosystème étant une toile complexe d'interactions, la perte d'une partie quelconque de cette toile provoquerait la destruction la stabilité - parce que (« de façon évidente ») cela affecterait l'équilibre. Cette argumentation est fausse sur bien des points… Vous ne pouvez pas déterminer ce qui se passera en vous contentant de regarder la taille de votre perturbation ; cela dépend de la situation de la dynamique par rapport à un éventuel « point de bifurcation », autrement dit de sa sensibilité envers toute modification de ses paramètres... La plupart des gens recherchent des réponses faciles, la plupart des hommes politiques et des groupes de pressions veulent des slogans simples. Les écosystèmes, eux, sont trop complexes pour se plier à cette exigence… Les cerveaux ont besoin du chaos : le chaos est nécessaire aux fonctions cérébrales car le cerveau traite de l'information, ce qui implique une capacité à commuter rapidement d'un état à un autre. Nous avons vu que ce type de flexibilité est caractéristique des systèmes chaotiques, car les systèmes possédant une dynamique plus régulière ne peuvent changer d'état aussi rapidement. Il semblerait donc que le cerveau doit être chaotique pour pouvoir fonctionner correctement. »

16 avr. 2009

C’EST BEAU LA VIE… MAIS QUELLE PAGAILLE !

Nous ne sommes qu'un amas de désordres emboîtés

Les développements récents de la physique – notamment au travers de l'utilisation des lois du chaos – montrent que « l'irréversibilité devient un élément essentiel de la description de l'univers » (Ilya Prigogine dans « Les lois du chaos »).

Quel dommage ! Moi dont l'adolescence avait été peuplée de récits de science-fiction, moi qui avais rêvé si souvent autour du déplacement dans le temps, voilà le retour en arrière impossible « scientifiquement ». Déception. Finalement, je n'aurais jamais dû me mettre à rouvrir des livres de mathématiques et de physique…

Trop tard, le mal est fait ! Et comme il est précisément impossible de revenir en arrière, je vais devoir vivre avec…

Donc notre monde est fait d'irréversibilité, et le temps a une flèche : notre univers a défaut d'avoir un sens (voir mon article « Ciel, je suis né par hasard et pour rien ») a une direction.

Nous ne savons pas où nous allons, mais nous avançons inexorablement. Chaque photon émis lors du big-bang poursuit sa route au travers du cosmos (voir « A quoi pense un photon du big-bang qui voyage hors du temps ? »)

Autre enseignement de la physique contemporaine : l'instabilité est la règle, l'ordre et le désordre sont indissociables.

Disons, pour prendre une image, que nous faisons tous du vélo : dès que le vélo s'arrête, il tombe. Pas seulement, le vivant, mais chaque parcelle de matière même apparemment inerte fait du vélo. Quand on pense à l'effervescence des mouvements à l'échelle quantique, elle « pédale » même comme une folle !

Nous, vivants, nous sommes un emboitement de « vélos qui pédalent » : chacune particule de matière infinitésimale va de déséquilibre en déséquilibre ; chaque cellule est composée d'une multitude de particules qui entrent et sortent de la cellule ; chaque être vivant est un ensemble dynamique de cellules qui « collaborent » provisoirement, naissent et meurent sans cesse, « s'hybrident » constamment avec le « dehors ».

Et, cerise sur le gâteau, nous, les hommes – et les femmes aussi bien sûr ! , nous avons en plus un cerveau sophistiqué composé de milliards de neurones et d'un nombre quasi incalculable de connexions synaptiques (les connexions qui relient les neurones entre eux) et qui n'arrête pas d'intégrer de nouvelles informations, de recomposer ses interprétations passées et d'en construire de nouvelles.

Nous ne sommes donc qu'un gigantesque désordre, une pagaille qui ferait peur si nous pouvions la voir.

Et de tout cela, émerge notre conscience et notre conviction d'exister, c'est-à-dire une sensation de continuité et de responsabilité dans le temps : je suis celui que j'ai été et je me sens responsable de ce que j'ai fait. Tout notre système de pensée et de droit est fondé sur ce sentiment d'identité et de responsabilité.

Ainsi de ce fouillis indescriptible, nous sommes nés.

Et il y en a qui disent que « la vie n'est pas belle » !

14 avr. 2009

« RÉCRÉATION » MATHÉMATIQUE

3,141 592 653 ; 2,718 281 828 ; 4,669 201 609 ; 2,502 907 875… et ADN

Pouvez-vous arriver à imaginer le monde sans nombre ? Difficile non ? Depuis l'enfance, nous vivons dans un monde peuplé de chiffres et de nombres, et nous avons appris à tout compter.

Pourtant, ce simple mécanisme n'est pas si naturel que cela.

Pour compter, il faut d'abord distinguer, c'est-à-dire être capable de séparer : il y a un, deux, trois ou quatre objets devant moi. Chacun des objets est différent des autres et peut être identifié en tant que tel.

Il faut aussi dans le même temps réunir, c'est-à-dire définir que ces objets appartiennent à une même catégorie, distincte du reste du monde.

Par exemple, pour pouvoir dire qu'il y a 4 stylos sur mon bureau, il faut que je définisse le sens de la « catégorie stylo » de façon suffisamment précise pour que seuls ces 4 objets en fassent partie, mais aussi suffisamment floue pour que les 4 en fassent bien partie. En effet, aucun stylo – comme aucun objet réel – n'est vraiment semblable à un autre, et, pour les compter « ensemble », il faut que je les ai considérés comme semblables. Mais sur quelle base ? Il faut donc que j'ai défini un objet théorique et fictif que je vais appeler stylo, et qui aura des attributs permettant l'identification pour les 4 objets, et l'exclusion pour les autres. On peut donc parler d'un processus de normalisation : je définis une norme « stylo » qui va définir ce qui est et ce qui n'est pas « stylo ».

Ainsi toute manipulation de chiffres et tout dénombrement supposent une normalisation implicite et préalable, un passage du monde réel à un monde limite et théorique où des représentations sont à la fois distinguées et confondues : parmi tous les objets qui sont sur ma table, il n'y a que 4 objets appartenant à la catégorie stylo.

Tout ceci repose sur des conventions que nous avons tous apprises dans notre enfance. Inutile d'être capable de théoriser là-dessus – et heureusement ! – pour les appliquer.

Au-delà de ces nombres simples et directement accessibles par l'observation, existent des nombres cachés qui sous-tendent le fonctionnement de notre monde.

Le plus célèbre et connu de tous est le nombre π. Sa valeur – 3,141 592 653… – n'est pas directement accessible au quotidien, mais elle est inscrite dans la géométrie de notre monde : elle est le rapport entre la circonférence d'une cercle et son diamètre. Ainsi si π ne peut pas être « compté » comme on compte des stylos, il est constamment là. Simplement pour l'appréhender, il faut qu'à nouveau je passe par un processus de normalisation, c'est-à-dire de définition de deux objets théoriques, le « cercle » et le « diamètre ». Dans la réalité, je ne trouve jamais de cercle « parfait », ni de diamètre « exact ».

Autre nombre clé : e. Celui-là est moins connu, car il n'apparait que quand on se lance dans le calcul intégral ou dans les limites. Il est pourtant nécessaire à tout calcul physique, même simple. Sa valeur – 2,718 281 828… – est une autre constante-clé de notre monde. Pour la trouver, je dois passer par une limite – soit celle d'une série infinie, soit celle d'une intégrale –. Qui dit limite dit encore processus de normalisation.

Notre monde physique « classique » est donc structuré autour de ces constantes : nous comptons ce que nous voyons, et π et e sont comme les gardiens des lois.

Arrive maintenant la théorie du chaos. Sans entrer dans le détail – impossible dans un article, mais je développerai ce point dans mon prochain livre –, sachez que le chaos n'est pas le désordre absolu : comme l'écrit Stewart dans son livre « Dieu joue-t-il aux dés ? Ou les mathématiques du chaos », « Le chaos est un comportement sans loi entièrement gouverné par une loi ». Ou autrement dit, derrière le désordre apparent, se cache des lois qui le structurent : ordre et désordre sont indissociables. Notamment, à la limite, les structures sont auto-similaires, c'est-à-dire que, à l'intérieur de tout sous-ensemble, je peux retrouver la structure toute entière. Émergent alors deux nouvelles constantes qui structurent ce chaos : 4,669 201 609 et 2,502 907 875.

Ainsi notre monde est sous-tendu non seulement par π et e, mais aussi par des nombres mystérieux et cachés. A chaque fois, il s'agit de structurer des relations et d'organiser des passages : entre le cercle et la droite, entre une série et sa limite, entre des arborescences successives dans un tourbillon chaotique.

De cette matière inerte régie par ces lois, a émergé la vie. Or quelle est une des propriétés les plus troublantes du vivant ? C'est, grâce à l'ADN, la capacité d'une seule cellule à détenir toutes les informations nécessaires à la vie. Le vivant est lui-même « auto-similaire » : le tout est dans la partie. L'ADN est le code de passage d'une cellule à un être vivant, d'un être vivant à un autre.

Drôle de résonance entre tous ces codes cachés…