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28 mai 2019

ÊTRE IRRATIONNEL, C’EST NIER L’IMPORTANCE DES PROCESSUS CACHÉS OU INCONSCIENTS

La décision peut-elle être mise en équation ?
Pendant des années, Treca, un leader dans le domaine du matelas, s'est refusé à entrer dans le marché des matelas en latex. Pour lui, sorti du ressort, pas de salut. La Direction était arcboutée, et, malgré le développement du latex, refusait même d'en discuter. Bizarre, non ? 
Oui si l'on s'en tient à l'approche rationnelle, mais, si l'on prend le temps de connaître l'histoire de l'entreprise et le sens de son nom, on se donne une chance de comprendre ce qui se passait. Que veut dire Treca ? C'est un raccourci pour Tréfilerie Câblerie : l'entreprise était née autour de son activité de tréfilerie. Le ressort n'était pas seulement un « objet anonyme » qui était là pour assurer le confort des matelas, c'était la raison d'être de l'entreprise, la justification de son nom.
S'autoriser à étudier le marché du latex s'était risquer d'abandonner un jour le ressort, prendre le risque de « tuer son père ». Pas facile. Tout ceci était en arrière-plan, dissimulé dans l'inconscient collectif…
Au milieu des années 80, j’étais à la DATAR (Délégation à l'Aménagement du Territoire et à l'Action Régionale), au sein de la petite équipe ayant pour mission de contribuer à une meilleure répartition géographique des emplois en France. Lors du choix de la localisation d’une nouvelle usine, au-delà des critères logiques et connus, nous en avions identifié un caché : la localisation de la résidence secondaire du ou des décideurs. 
Que se passait-il ? En fait l'analyse rationnelle des localisations possibles conduisait la plupart du temps à plusieurs options possibles. Le choix entre elles allait dépendre de la grille de choix et de la pondération entre les différents éléments d'analyse. Or cette grille et cette pondération étaient très largement subjectives et ne pouvaient être déduites d'aucun manuel de management. A ce moment-là, le ou les dirigeants concernés repensaient qu'eux-mêmes, auraient à aller dans cette usine, et que, si elle n'était pas trop loin de leur maison de campagne, ce serait quand même pratique…
A son arrivée à la tête de cette grande entreprise, ce dirigeant expérimenté avait eu pour la première fois de sa carrière à faire face à un nouveau secteur d'activités. Pas facile de comprendre la logique de ce secteur : les enjeux technologiques étaient complexes, le jeu concurrentiel mouvant, le rythme des innovations très particulier. En fait, il avait été un peu perdu. Bien sûr, il avait cherché à apprendre le plus vite possible toutes ces nouvelles règles du jeu, mais il gardait une nostalgie du secteur qu'il venait de quitter. Un peu comme s'il regrettait une terre natale. 
Heureusement, son entreprise était prospère et avait à choisir un nouveau domaine d'activités. Rapidement, une évidence s'imposa à lui : le secteur qu'il avait quitté, celui qu'il connaissait si bien, était le bon. Une étude stratégique après, la décision était prise : son entreprise allait s'y développer. Cette décision étonna bon nombre d'analystes, car le lien entre ce nouveau domaine et les activités historiques de l'entreprise n'était pas évident. Mais la signature apposée au bas de l'étude stratégique était tellement convaincante…
Histoire de l'entreprise, attentes cachées des décideurs, histoire personnelle du dirigeant, autant de facteurs essentiels dans un processus de décision.
D’aucuns y verront un problème, une tendance contre laquelle il faut lutter. Personnellement, je ne crois pas, car cela montre que nous ne sommes pas face à des mécaniques anonymes et inhumaines. Simplement un facteur de complexité supplémentaire à prendre en compte.
Car, penser que l'on peut tout mettre en équation, ce n'est pas être rationnel : nier la réalité des processus cachés et inconscients, c'est être irrationnel.
Être rationnel, c'est faire face à la réalité des processus cachés et inconscients… et apprendre à en tirer parti.

20 mai 2015

LES ENCHEVÊTREMENTS QUI TISSENT NOTRE MONDE

L’entreprise au cœur de l’incertitude et des émergences
En marchant dans les rues de Paris ou de toute autre grande ville du monde, je suis frappé par la complexité sous-jacente qui permet à notre société de fonctionner : un enchevêtrement d’entreprises est nécessaire à son existence, et la production cahin-caha, au moins jusqu’à ces dernières années, de la croissance. C’est une toile finement tissée faite de sous-traitants et donneurs d’ordre, fournisseurs et clients, partenaires et compétiteurs, qui font que tout un chacun trouve les produits qu’il cherche. Regardez autour de vous et essayez donc de compter le nombre d’entreprises qui ont dû intervenir pour faire exister ce qui vous entoure et vous le rendre accessible : une voiture, un immeuble, un téléphone, un yaourt, un légume… Impossibles identification et comptage.
Il y a quelques siècles, c’était simple : nos villes étaient nées des mains de ceux qui les habitaient, et personne n’était bien éloigné de l’origine de ce qu’il trouvait dans son assiette, de l’objet qu’il saisissait ou du mur qui l’entourait. Encore à la fin du dix-neuvième siècle, il n’était pas difficile de démêler les enchevêtrements qui étaient sous-jacents à notre existence personnelle : les biens industriels étaient rares, et souvent complètement conçus et construits en un lieu unique ; l’industrie agro-alimentaire n’existait pas, ou presque ; les produits agricoles, sauf des exceptions comme le café ou le poivre, voyageaient peu. (…)
Parallèlement à l’élaboration progressive de ce tissu économique fait de codépendances et de coproductions, la notion même d’entreprise s’est compliquée au fur et à mesure de l’accroissement de leurs tailles et de l’apparition d’expertises internes : nées initialement autour d’un leader ou d’une équipe, à partir d’une idée ou d’un premier client, sur un territoire donné, à l’instar d’un corps vivant qui se démultiplie, elles sont parties à la conquête de nouveaux territoires, articulant petit à petit chaque jour davantage de ressources techniques, financières et humaines, internes comme externes, associant fournisseurs, autorités publiques et clients.
Leurs intérieurs sont devenus habités par une multitude de matriochkas qui se chevauchent et s’emboîtent, constituant autant d’unités d’appartenance : des équipes dans des ateliers, dans des usines, dans des filiales, dans des divisions ; des organisations marketing, à côté des structures industrielles, de recherche, financières,… ; des syndicats, des comités d’établissement, des comités d’entreprises, des comités de groupe ; des clubs sportifs, des réseaux d’anciens de la même école…

(extrait des Radeaux de feu)

13 janv. 2014

L’ENCHEVÊTREMENT QUI TISSE NOTRE NEUROMONDE

L’entreprise au cœur de l’incertitude et des émergences (1)
En marchant dans les rues de Paris ou de toute autre grande ville du monde, je suis frappé par la complexité sous-jacente qui permet à notre société de fonctionner : un enchevêtrement d’entreprises est nécessaire à son existence, et la production cahin-caha, au moins jusqu’à ces dernières années, de la croissance. C’est une toile finement tissée faite de sous-traitants et donneurs d’ordre, fournisseurs et clients, partenaires et compétiteurs, qui font que tout un chacun trouve les produits qu’il cherche. Regardez autour de vous et essayez donc de compter le nombre d’entreprises qui ont dû intervenir pour faire exister ce qui vous entoure et vous le rendre accessible : une voiture, un immeuble, un téléphone, un yaourt, un légume… Impossibles identification et comptage.
Il y a quelques siècles, c’était simple : nos villes étaient nées des mains de ceux qui les habitaient, et personne n’était bien éloigné de l’origine de ce qu’il trouvait dans son assiette, de l’objet qu’il saisissait ou du mur qui l’entourait. Encore à la fin du dix-neuvième siècle, il n’était pas difficile de démêler les enchevêtrements qui étaient sous-jacents à notre existence personnelle : les biens industriels étaient rares, et souvent complètement conçus et construits en un lieu unique ; l’industrie agro-alimentaire n’existait pas, ou presque ; les produits agricoles, sauf des exceptions comme le café ou le poivre, voyageaient peu. (…)
Parallèlement à l’élaboration progressive de ce tissu économique fait de codépendances et de coproductions, la notion même d’entreprise s’est compliquée au fur et à mesure de l’accroissement de leurs tailles et de l’apparition d’expertises internes : nées initialement autour d’un leader ou d’une équipe, à partir d’une idée ou d’un premier client, sur un territoire donné, à l’instar d’un corps vivant qui se démultiplie, elles sont parties à la conquête de nouveaux territoires, articulant petit à petit chaque jour davantage de ressources techniques, financières et humaines, internes comme externes, associant fournisseurs, autorités publiques et clients.
Leurs intérieurs sont devenus habités par une multitude de matriochkas qui se chevauchent et s’emboîtent, constituant autant d’unités d’appartenance : des équipes dans des ateliers, dans des usines, dans des filiales, dans des divisions ; des organisations marketing, à côté des structures industrielles, de recherche, financières,… ; des syndicats, des comités d’établissement, des comités d’entreprises, des comités de groupe ; des clubs sportifs, des réseaux d’anciens de la même école…
Où commence et finit vraiment une grande entreprise ? Comment la définir ? Pourquoi est-ce qu’elle réussit ou échoue, grandit ou périclite ? Son fonctionnement est la résultante de tant d’agitations, de collaborations et d’oppositions, de tant de réseaux, chaque individu appartenant le plus souvent à plusieurs.
(extrait des Radeaux de feu)


1 févr. 2012

NON, LE TRAVAIL N’EST PAS UNE MARCHANDISE !

Faire des calculs sur le coût du travail n’a pas grand sens
La quasi-totalité des hommes politiques, de gauche comme de droite, et des économistes continuent à considérer que le travail est une quantité que l’on peut additionner et multiplier. Il en était ainsi lors des débats sur les 35 heures, il en est ainsi aujourd’hui quand on parle du coût du travail.
Or les activités humaines ne se prêtent pas aux règles de trois, et heureusement ! C’est déjà ce que j’indiquais dans mon livre, Les mers de l’incertitude, quand je m’attaquais aux dangers de la mathématisation du monde.  J’y écrivais notamment : 
« Si un bagagiste ramasse en moyenne N bagages par heure, combien deux bagagistes en ramasseront-ils ? 2N ? Oui, si l’on applique brutalement le calcul mathématique. C’est ce que l’on fait classiquement. Non, si l’on tient compte de ce que les hommes ne sont pas des objets théoriques dont on peut négliger le comportement. Pourquoi considérer qu’ils ne peuvent pas se mettre à discuter ensemble ou, à l’inverse, profiter chacun de l’expertise de l’autre pour accroître leur rendement individuel ? Les hommes ne sont pas des objets que l’on peut additionner ou multiplier. Faut-il s’en plaindre ?
Malgré tout, nous continuons à ramener le comportement humain à des équations simples et à manipuler les hommes à coup de règles de trois. Quelques exemples :
  • Dans la plupart des démarches de productivité, on calcule combien de temps en moyenne une personne met pour effectuer une tâche. Puis connaissant le nombre de tâches à effectuer par jour, on en déduit combien de personnes sont nécessaires. Comme s’il n’y avait aucun effet lié au nombre de personnes.
  • Pour accélérer le déroulement d’un projet informatique, on double le nombre de personnes impliquées en faisant l’hypothèse que le délai sera divisé par presque deux.
  •  Les approches sur les conséquences de la réduction du temps de travail, considèrent que la quantité de travail est une donnée qui se divise, se multiplie et se répartit. La réalité dément quotidiennement ces calculs. »
Comment ne pas voir dès lors l’absurdité de ramener la compétitivité des entreprises, au coût du travail en France ?
Comment ne pas voir que, en dehors des taches simples et répétitives qui ne représentent, Dieu merci, plus que la minorité du travail, la performance est d’abord liée à l’engagement individuel et collectif, au niveau de formation, à la capacité à travailler ensemble ou à la compréhension de son rôle dans un processus industriel complexe ?
Comment donc penser que c’est en agissant sur la variable du coût du travail, et en plus dans des proportions faibles, que l’on va redévelopper l’emploi industriel en France ?
C’est décidément bien peu comprendre ce que sont les réels modes de fonctionnement des entreprises, et ce qui fait la performance dans le monde globalisé de l’incertitude, le Neuromonde comme je l’appelle.
C’est aussi absurde que de penser, que l’on va mettre moins de temps pour aller de Paris à Lyon par autoroute, en changeant de voiture. Le temps de parcours dépend d’abord des embouteillages, des travaux éventuels et de la météo et du type de conduite. La voiture intervient bien peu, puisque toutes les voitures peuvent atteindre des vitesses moyennes largement supérieures à 130 km/h… Alors arrêtons de parler des voitures, et abordons les vrais sujets.
Est-ce être utopiste que d’espérer que les discours et les actes politiques se raccordent au réel et ne manipulent plus des fictions mathématiques ?

26 déc. 2011

EN EMPILANT DES BLOCS SIMPLES, ON CONSTRUIT UN SYSTÈME COMPLEXE ROBUSTE

Best of
Et si on s'intéressait aussi à la simplicité ?

Dans sa conférence (voir ci-dessous), Georges Whitesides (voir sa bio) s'intéresse à la simplicité, et comment elle permet de construire la complexité. Il y explique que ce sont avec des blocs simples – comme des pierres, des 0 et des 1, … –, que l'on peut élaborer des systèmes sophistiqués comme Internet ou des cathédrales.
Ce qui est simple, c'est tout ce qui peut s'empiler facilement et solidement. Guidé par son imagination et son projet, on va poser les blocs les uns sur les autres : l'un fera une cathédrale, quand un autre en tirera un château ou simplement un mur en pierres sèches… 
Pour construire avec ces blocs, vous n'avez pas besoin de connaitre la logique qui a permis à ces blocs d'exister, vous n'avez qu'à savoir vous en servir et les empiler. Ceci rejoint le propos de Ian Stewart qui a écrit dans « Dieu joue-t-il aux dés ? » :« Ce dont nous avons besoin, c'est de la théorie de la simplicité, pas de la théorie de la complexité. Il y a une rhétorique de la science réductionniste qui prétend que, même si la chèvre ne le sait pas, des choses immensément compliquées doivent se produire en elle pour qu'elle se comporte cette façon. (…) Il vous semble, à vous et à la chèvre, que ce qui se passe est simple : mais, en fait, cela ne l'est pas. (…) Une théorie des particules subatomiques est fongible quand on la regarde à partir du niveau de la chèvre. Il faut bien qu'il en soit ainsi, ou bien nous n'aurions jamais été capables de garder une chèvre sans passer auparavant un doctorat de physique subatomique. »
Lego ou Meccano ont apporté à tous les enfants de nouveaux blocs simples pour donner libre cours à leur imagination. McDonald a dominé le monde des hamburgers en le décomposant en briques élémentaires – le pain, la viande, les frites…–, en industrialisant chaque composant et en en facilitant l'assemblage. Le jeu de go repose sur des règles que l'on peut énoncer et comprendre en une minute…
Quand la complexité repose sur des composants eux-mêmes complexes, elle est fragile et vulnérable. Quand elle repose sur des blocs simples, elle est efficace et souple.
A garder en mémoire…


15 nov. 2011

LA PERFORMANCE INDIVIDUELLE N’A PAS GRAND SENS

Laissons les papillons battre des ailes, et n’en concluons rien !
Retour sur les papillons et leurs battements d’aile.
J’aime cette idée : imaginez donc un papillon qui est en train de donner un coup d’aile, – disons dans le Sud de l’Espagne par une belle fin de journée ensoleillée –, et qui, sans le savoir, va déclencher quelques semaines plus tard une catastrophe météorologique à l’autre du bout du monde. Cette image est si poétique qu’elle est devenue un lieu commun.
Mais arrêtons-nous un instant sur elle. Comment peut-on imaginer réellement qu’un battement d’aile – ou tout autre phénomène unitaire – peut provoquer une conséquence identifiable et attribuable des semaines plus tard ? Comment pourrait-on être capable d’isoler un enchaînement de faits de toutes les autres interférences ?
Notre monde est trop complexe, trop entremêlé pour imaginer une telle corrélation. Tout est affaire de système, et les actions individuelles sont prises dans la toile d’araignée des actions des autres, des effets et des contre-effets, d’une infinité de perturbations.
Il en est de même dans une entreprise.
Certes la mobilisation individuelle et la performance d’une action isolée sont importantes, mais il est illusoire de vouloir relier directement ce que fait un individu d’un résultat précis.
En fait, ce n’est pas seulement illusoire, c’est dangereux et trompeur. Par exemple, cela peut amener à surestimer l’impact individuel, et de sous-estimer l’importance de tout ce qui l’entoure. Ou à l’inverse, ne pas voir que le problème n’est pas dû à un manque d’engagement, mais à un dysfonctionnement systémique…
Ainsi comme il est inutile de prétendre conclure quoi que ce soit à partir d’un battement d’aile d’un papillon, il ne sert pas à grand chose de mesurer la performance individuelle… 

6 juil. 2011

QUE MAITRISE CONSCIEMMENT UNE ENTREPRISE ?

Comment une grande entreprise peut-elle agir de façon coordonnée ? (2)

Dans mon livre, je mettais l’accent sur quatre questions à se poser pour évaluer la capacité d’une grande entreprise à agir de façon coordonnée :
  • Est-ce que les données figurant dans le système de management central sont bien les mêmes que celles qui figurent dans les niveaux inférieurs ?
  • Est-ce que chaque sous-ensemble a une compréhension de la stratégie d’ensemble et a accès aux conséquences des décisions qu’il prend ? Y a-t-il une cohérence ou non entre tous les systèmes ? Que se passe-t-il si on élargit aux systèmes liés aux organisations syndicales ou associatives ?
  • Est-ce qu’il y a des éléments de l’entreprise qui sont toujours inconscients(1) ? Ou formulé autrement, est-ce qu’une partie de l’activité de l’entreprise n’est jamais explicitement managée ?
  • Y a-t-il un système de diffusion de la Direction Générale vers les unités élémentaires, pour assurer la communication d’une décision, le déclenchement et la synchronisation des actions ? Et des unités vers la Direction Générale pour faire remonter une information ou déclencher une alerte ?
J’y mettais aussi en exergue l’anecdote suivante : « Dans les années soixante, l’humoriste Fernand Raynaud avait un sketch célèbre tournant autour de la question suivante : « Combien de temps faut-il pour que refroidisse le canon du fusil ? ». Cette question était posée par un adjudant à de jeunes recrues et la bonne réponse était : « Un certain temps », c’est-à-dire le temps qu’il faudra. Eh bien, à la question « Combien de temps attend le client ? » ou à celle « Quel temps faut-il pour lancer un produit ? », la réponse est là aussi souvent un certain temps, le temps nécessaire pour que le cas soit traité… »

(1) Quelques exemples : y a-t-il un système qui permet de suivre et de piloter « consciemment » le temps d’attente des clients, ou bien ce temps d’attente est-il simplement la résultante des processus de l’entreprise ? Est-on capable de suivre et de piloter le temps nécessaire pour lancer un nouveau produit, ou à nouveau ce temps est-il simplement la résultante des actions des différents services concernés ?

5 juil. 2011

DIFFICILE D'ATTRAPER UN VERRE SI LES JAMBES BOUGENT AU MAUVAIS MOMENT !

Comment une grande entreprise peut-elle agir de façon coordonnée ? (1)
Pour faire face à des concurrents à bas coût, la Direction Générale d’une compagnie aérienne a lancé un vaste plan de réduction des dépenses dans l’ensemble de l’entreprise. Une équipe ad hoc est constituée. Sont notamment revues toutes les dépenses dans l’aéroport principal. Un audit met en évidence que le nombre de personnes affectées à la réception des bagages est excessif, le calcul reposant sur le nombre total de bagages traités par jour. La décision de diminuer le nombre de bagagistes est prise et est rapidement mise en œuvre.
En parallèle, une autre partie de cette grande entreprise qui a en charge de développer les ventes en Asie, et singulièrement au Japon, décide de promouvoir dans ce même aéroport une logique de hub : des correspondances très rapides vont permettre à des voyageurs venant du Japon de transiter efficacement et repartir vers une destination quelconque en Europe. Le temps de correspondance visé est de 30 minutes.
Or les vols depuis le Japon sont effectués dans des Boeing 747 et l’arrivée de ces vols a lieu à l’heure de pointe de l’aéroport : il y a donc à ce moment-là un très grand nombre de bagages à traiter. Aussi, compte tenu de la diminution du nombre de bagagistes, le temps moyen pour traiter un bagage monte à 45 minutes : en effet, le calcul d’optimisation fait pour la réduction des coûts a raisonné en moyenne journalière et n’a pas tenu compte de l’effet de pointe.
Ainsi la juxtaposition des deux décisions, optimisation du traitement des bagages et mise en place du hub, a fait que la plupart des voyageurs venant du Japon repartaient vers leurs destinations finales sans leurs bagages !
Le coût direct lié au traitement de tous les bagages en retard (intervention manuelle hors processus, frais d’acheminement jusqu’au client final incluant des taxis, indemnités, …) a été nettement supérieur à l’économie faite par la réduction du nombre de bagagistes : une estimation rapide de ce surcoût l’a évalué à dix fois l’économie initiale. Et ce sans parler des dégâts faits à l’image de la compagnie auprès des clients mécontents, dégâts toujours difficilement chiffrables : l’incident a été tellement important que l’entreprise a failli être déréférencée par toutes les agences de voyages japonaises.
Un peu comme si, au moment d’attraper un verre, nos jambes s’étaient mises en mouvement d’elles-mêmes. Difficile alors de réussir à attraper le verre…

19 mai 2011

APPRENDRE À VOIR LES SITUATIONS TELLES QU’ELLES SONT… NI PLUS, NI MOINS

Les trois erreurs : question + sous-ensemble + essentiel
Comprendre suppose donc d’être intensément attentif… pour avoir une chance de trouver des truffes.
Pour cela, je vois trois « règles » essentielles :
1.      Ne pas commencer par poser des questions
Dès que vous posez la moindre question, vous n’êtes plus en attitude d’écoute et de compréhension, mais vous projetez votre vision de la situation. En effet, la question que vous posez vient de votre expérience et de votre connaissance préalable. Elle repose nécessairement sur un a priori issu de votre expertise actuelle et passée. Au lieu de poser des questions, il faut observer de la façon la plus neutre possible, sans jugement, sans point de vue. Juste regarder ce qui est là, intensément et dans le détail
2.   Accepter la complexité des situations et ne pas rationaliser les situations en les découpant artificiellement en problématiques indépendantes
Les fonctionnements des systèmes biologiques sont faits d’emboîtements et de juxtapositions multiples, de réunions et de séparations, d’ordre et de désordre. A vouloir simplifier trop vite une analyse, on va perdre des liaisons ou des effets essentiels.
3.      S’arrêter sur tout ce que l’on ne comprend pas, tout ce qui « sort de l’ordinaire », tout ce qui pose question
Une fois une telle anomalie repérée, il ne faut pas accepter de ne pas comprendre, mais au contraire poser ou se poser autant de « pourquoi ? » qu’il faudra. Ne jamais repartir en pensant : « Ce n’est pas important », du moins, pas tant que l’on n’a pas compris ce que cela signifiait. Finalement, tout problème est source d’un approfondissement de la compréhension.
Une autre façon serait de présenter quelles sont les trois principales erreurs à éviter : 
  • Poser des questions
  • Découper la situation en sous-ensembles
  • Aller à l’essentiel
Je vais revenir la semaine prochaine sur ces trois erreurs... en les prenant en ordre inverse...

22 avr. 2011

COMMENT VIVRE LA COMPLEXITÉ SANS CONFIANCE ?

En France, nous nous méfions les uns des autres

En conclusion de ces quatre articles sur l'appréhension et la confiance, je reprends un article que j'avais diffusé en mars 2010.

Dans cette conférence tenue en décembre 2009 à l'École Normale Supérieure, Yann Algan, professeur à Sciences Po, montre que : 
  • En France, nous avons un déficit de confiance tant vis-à-vis de nos institutions que de nos concitoyens : par exemple, nous sommes parmi les pays qui ont la plus forte défiance vis-à-vis de leur justice. Ou encore, une français sur cinq fait confiance spontanément à quelqu'un qui ne connait pas versus trois sur quatre dans les pays d'Europe du Nord
  • Il y a un lien direct entre le niveau de confiance dans un pays et la performance économique : par exemple, plus le degré de confiance est élevé, plus le pourcentage d'investissement l'est aussi, ce qui « est d'autant plus fondamental dans nos économies d'innovation ». Ou encore, moins il y a de confiance, moins il est facile de créer une entreprise, car plus les contrôles sont tatillons et multiples…
Un peu plus de quinze minutes à écouter… et à méditer

24 janv. 2011

LA VIE “CANNIBALE”

Nous avons besoin de consommer de l'énergie accumulée

La quasi-totalité de notre alimentation est de la matière vivante : légumes, fruits, poisson, œuf, viande... A part cela pas grand-chose : le fromage et les produits lactés (mais le fromage français est plein de bactéries qui font son charme et son goût, les yaourts aussi…), le sel, l'eau… Nous sommes donc tous, végétariens compris, des cannibales du vivant. Pourquoi cela ?
Parce que la vie a besoin d'absorber de l'énergie concentrée. Au premier niveau, grâce à l'énergie solaire, les végétaux transforment les substances mortes qu'ils assimilent (minéraux, eau,…) en produits à plus forte valeur énergétique : leurs propres cellules. Ensuite, les animaux herbivores vont à leur tour les assimiler, et les transformer en nouvelles cellules encore plus riches. Et ainsi de suite… On retrouve à nouveau un emboîtement.

L'homme, non seulement, se nourrit de l'énergie accumulée par les autres espèces vivantes, mais consomme de l'énergie pour sa propre activité : toute notre production repose depuis le début sur la destruction d'énergie fossile.
Cela a commencé par le feu dans les cavernes : nous avons voulu faire cuire notre viande, durcir nos outils et nous éclairer. Cela s'est amplifié avec le développement des moteurs à explosion, puis de l'électricité. Comme tous les êtres vivants, nous nous nourrissons donc de l'énergie accumulée par les autres, mais à un niveau jamais atteint par une autre espèce.

Finalement, comme l'écrit Edgar Morin : « La régulation écologique se paie par des hécatombes. La cruauté est le prix à payer pour la grande solidarité de la biosphère. La Nature est à la fois mère et marâtre. Tout vivant lutte contre la mort en intégrant la mort pour se régénérer. »(1)

(1) Edgar Morin, Méthode 6. Éthique, p.238

Extrait des Mers de l'incertitude

18 janv. 2011

LE CHAOS, VECTEUR DE STABILITÉ DE LA VIE ET DE PUISSANCE DU CERVEAU

La vie est faite d'ordre et de désordre

Le chaos sert-il à quelque chose ? Est-ce simplement une complication pour le plaisir de notre univers ? Le créateur, quel qu'il soit, a-t-il voulu nous jouer un mauvais tour en nous condamnant à vie à l'aléatoire : quoi que nous fassions, nous ne pourrons jamais prévoir ?

Non, car si le chaos est source d'incertitude, il aboutit aussi à des propriétés essentielles pour le développement de la nature et de la vie : il apporte la stabilité. Dualité de notre monde : sans incertitude, pas de stabilité.
En effet comment un système vivant peut-il perdurer malgré tous les aléas qui l'entourent et tous les changements constants ? Comment n'est-il pas détruit par toutes les perturbations venant de son environnement ? Comment notre écosystème peut-il survivre et évoluer ? C'est grâce à la stabilité structurelle apportée par le chaos.

Ainsi ce chaos qui nous brouille la vision du futur est aussi celui qui nous permet d'en avoir un : si notre avenir pouvait être prédit, la moindre perturbation viendrait tout détruire. C'est le flou qui permet la résilience. Pensez à la fable du chêne et du roseau : le chêne rigide casse, là où le roseau flexible survit. C'est un peu la même chose.

Un enseignement majeur à garder en tête pour le management des entreprises : quand une équipe de direction supprime le flou et le désordre, il rend l'entreprise cassante et fragile. Je reviendrai plus loin sur ce que j'appelle le risque de l'anorexie(1).
Enfin, il semble bien que le chaos soit aussi nécessaire aux fonctions cérébrales pour traiter de l'information : les systèmes chaotiques sont plus à même de réagir rapidement et de s'adapter à des aléas. Le chaos est probablement au cœur de la vie de nos neurones. Voilà notre cerveau qui, après s'être découvert impacté par la mécanique quantique, devient chaotique.

Extrait des Mers de l'incertitude

13 janv. 2011

« ON NE PEUT PAS VÉRIFIER CE QUI SE PASSE AU CIEL, ALORS QUE L’ON A PU VÉRIFIER CE QUI SE PASSAIT EN UNION SOVIÉTIQUE »

Quand Edgar Morin fait l'éloge de la résistance

Le 7 juin 2010, Edgard Morin a été l'invité d'une rencontre Fnac-Le Monde, intitulée « Éloge de la résistance ».
La vidéo ci-dessous reprend la troisième partie de cette rencontre(1) au cours de laquelle il en vient à ses réflexions sur la complexité et l'évolution actuelle du monde.
Il y développe notamment à partir de l'exemple de l'industrie du film à Hollywood l'importance de la relation entre production et création, et la nécessité de comprendre que la relation n'est pas antagoniste, mais complémentaire.

Voici aussi quelques échantillons de ses propos :
« Je vois la contradiction à l'intérieur d'un camp. (…) Le contraire d'une grande vérité n'est pas une erreur, mais une autre vérité. »
« Quand je suis rentré au CNRS, j'avais 30 ans. J'étais un jeune chercheur, ce que je suis resté, dans le langage du CNRS, jusqu'à presque 50 ans. Mais quand j'avais 22 ans, j'étais un jeune chef de la résistance. Personne ne m'a dit : Vous êtes un jeune chef. (…) Il fallait que je vieillisse pour que les critères académiques me trouvent jeune. »
« Le calcul est aveugle sur la vie. »
« Après cette religion du salut terrestre qu'était le communisme, ressuscitent les religions du salut céleste qui sont elles beaucoup plus solides, car on ne peut pas vérifier ce qui se passe au ciel, alors que l'on a pu vérifier ce qui se passait en Union Soviétique. »
« L'éthique est une double résistance : la résistance à la cruauté du monde, car la nature est notre mère et notre marâtre, et la résistance à la barbarie humaine »




(1) Les deux premières parties sont aussi disponibles sur YouTube (1ère partie, 2ème partie). Il y expose notamment ce qui l'a amené à devenir résistant face à l'occupation, sa relation complexe avec le communisme et son implication au moment de la guerre d'Algérie. L'intégrale de cette rencontre est disponible sur YouTube

9 juin 2010

LA VIE DÉRIVE DE POSSIBLES EN POSSIBLES

L'évolution procède par bricolages et émergences

Le voyage au sein des « Mers de l'incertitude » amène à des extraits issus de la fin de la première partie.

« L'abeille a-t-elle évolué pour mieux tirer parti de l'existence des fleurs ? Oui, mais les fleurs ont, elles aussi, changé pour mieux attirer ces abeilles essentielles à leur reproduction, et donc à leur survie. Cette co-évolution a rendu fertilisation et alimentation conjointement possibles et les a améliorées. Était-ce la meilleure solution ? On ne sait pas : ensemble, la fleur et l'abeille ont simplement « bricolé » une évolution satisfaisante, qui permettait à l'une et à l'autre d'accroître leurs chances de survie. (…)

Chaque élément de l'univers est soumis à un ensemble de règles et de lois : les lois générales de la matière (comme les quatre lois de base : gravitation, force électromagnétique, forces nucléaire forte et faible), et des règles spécifiques à l'acteur ou l'espèce en question, règles pouvant être innées ou acquises.
Cet ensemble de règles oriente l'évolution en structurant ce champ des possibles : est considérée comme satisfaisante3, toute évolution qui reste dans ce champ des possibles.
Comment est produite l'évolution ? Par un bricolage constant et continu, une dérive de possibles en possibles, un enchaînement plus ou moins rapide de microévolutions. (…)

Aucun objet n'a de sens ni de finalité en soi, le sens et la finalité émergent dans et par la relation avec ce qui l'environne : l'objet reste le même, mais le sens de l'objet et sa fonction sont dépendants de ce qui se trouve face à lui et de l'interaction entre les deux. De ce point de vue, on peut dire que le réel n'existe pas a priori, mais émerge de l'interaction avec ce qui est là.
La mécanique quantique et la relativité ont mis l'accent sur l'interdépendance entre ce que l'on observe et celui qui l'observe. C'est la même idée que l'on retrouve ici.
Telle est la logique de l'émergence : la réalité n'existe pas en tant que telle, elle n'est pas un absolu immuable mais naît de l'interaction entre l'observé et l'observateur. En reprenant la terminologie de Varela, elle « enacte ».
Il ne s'agit plus seulement de co-évolution, mais bien de co-dépendance instantanée : chacun donne un sens à l'autre, chacun est dépendant continûment de l'autre. »
1

(1) Extrait des Mers de l'incertitude p.65 et 66

7 juin 2010

LA VIE NAÎT DU DÉSORDRE

C'est beau la vie, mais quelle pagaille !

Poursuite de la promenade au sein des « Mers de l'incertitude » avec des extraits issus de la première partie et portant sur la vie et l'évolution.

« Quand je me penche à l'intérieur de la vie pour voir un peu ce qui se passe, je n'y trouve que des séries de désordres emboîtés les uns dans les autres : chaque fois que j'ouvre la poupée d'un niveau, j'en trouve une autre plus petite, à l'intérieur. Interminable jeu de poupées russes.
A chaque niveau, l'instabilité est la règle, et seul le mouvement permet au système de tenir debout et d'avancer. Ainsi ce ne sont pas des poupées russes qui sont emboîtées, mais plutôt des « vélos russes » : des vélos qui pédalent sans cesse emboîtés les uns dans les autres. Chaque particule de matière infinitésimale va de déséquilibre en déséquilibre ; chaque cellule est composée d'une multitude de particules qui entrent et sortent de la cellule ; chaque être vivant est un ensemble dynamique de cellules qui collaborent provisoirement, naissent et meurent sans cesse, s'hybrident constamment avec le dehors. Et, cerise sur le gâteau, nous, humains, nous avons en plus un cerveau sophistiqué composé de milliards de neurones et d'un nombre quasi incalculable de connexions synaptiques : le tout n'arrête pas d'intégrer de nouvelles informations, de recomposer ses interprétations passées et d'en construire de nouvelles. Nous ne sommes donc qu'un gigantesque désordre, une pagaille à faire peur si nous pouvions la voir.
De tout cela, émergent notre conscience et notre conviction d'exister, c'est-à-dire une sensation de continuité et de responsabilité dans le temps : je suis celui que j'ai été et je me sens responsable de ce que j'ai fait. Nos systèmes de pensée et de droit sont fondés sur ce sentiment d'identité et de responsabilité.
Ainsi de ce fouillis indescriptible, de ces vélos russes qui tournent sans cesse les uns dans les autres, sommes-nous nés. (…)

Ordre et désordre sont donc indissociables : c'est la présence des deux qui apporte à la vie la capacité à s'adapter, indispensable pour inventer par tâtonnements et ajustements successifs, et la continuité, nécessaire à la construction de l'identité et de l'expérience.
La vie se nourrit aussi d'elle-même : tout organisme vivant absorbe constamment d'autres organismes vivants, avant d'être lui-même absorbé. Nous sommes tous des cannibales du vivant.
Pour être vivante, l'entreprise a besoin aussi de dualité et de cannibalisme : une forme d'ADN qui va lui apporter stabilité et continuité, des réactifs élémentaires changeants et volatils capables de se composer et décomposer rapidement ; la croissance externe qui est une des sources essentielles de son développement, en lui permettant d'absorber l'énergie accumulée par les autres. »
1

(1) Extraits des Mers de l'incertitude p.57-58 et 60

4 mai 2010

DOTER L’ENTREPRISE D’UN SYSTÈME SIMPLE, PERMETTANT DE CONSTRUIRE LOCALEMENT LA BONNE SOLUTION

Comment faire face au développement de l'incertitude et à l'accroissement de la complexité sans construire des « usines à gaz » ?

J'ai déjà eu l'occasion dans bon nombre de mes articles(1), d'évoquer comment et pourquoi l'incertitude se développe, et comment, parallèlement et en partie à cause de cette croissance de l'incertitude, la complexité de l'environnement des entreprises explose : mondialisation des activités, multiplicité des savoir-faire techniques à mobiliser. J'y reviendrai dans les jours qui viennent à l'occasion de la sortie de mon livre « Les mers de l'incertitude »(2).

Face à cela, je vois souvent des directions d'entreprises vouloir y répondre par une complexité interne croissante, et une sophistication de tous les systèmes.

Je pense à l'inverse, dans la ligne des propos tenus par Georges Whitesides et dont je me faisais l'écho hier(3), qu'il faut construire les réponses complexes à partir de blocs simples. Il s'agit pour le management de trouver quelles sont les bonnes brises de base qui pourront être assemblées localement pour construire dynamiquement des solutions adaptées à ce qui survient.

Quelques exemples :
- Le marketing central cherche à construire non plus des produits terminés et qui seront déployés tels quels dans tous les pays, mais des systèmes qui permettront à chaque pays ou filiale de construire rapidement, à bas coût et de façon globalement cohérente leur propre réponse.
- La direction informatique ne développe plus des solutions clés en main, mais crée ou référence des sous-systèmes simples capables de s'assembler et s'interfacer rapidement.
- L'organisation n'est pas définie par la direction générale, mais ce sont les principes que doit respecter toute organisation locale qui le sont, en veillant notamment à toutes les questions d'interface.
- Le rôle de chacun est défini de façon simple et peut être exprimé en quelques mots, et donc être intégré par tous.

(1) Cliquer sur le mot pour vous les articles liés à Incertitude ou Complexité
(2) Sortie le 25 mai
(3) Voir « EN EMPILANT DES BLOCS SIMPLES, ON CONSTRUIT UN SYSTÈME COMPLEXE ROBUSTE »

3 mai 2010

EN EMPILANT DES BLOCS SIMPLES, ON CONSTRUIT UN SYSTÈME COMPLEXE ROBUSTE

Et si on s'intéressait aussi à la simplicité ?

Dans sa conférence (voir ci-dessous), Georges Whitesides (voir sa bio) s'intéresse à la simplicité, et comment elle permet de construire la complexité. Il y explique que ce sont avec des blocs simples – comme des pierres, des 0 et des 1, … –, que l'on peut élaborer des systèmes sophistiqués comme Internet ou des cathédrales.

Ce qui est simple, c'est tout ce qui peut s'empiler facilement et solidement. Guidé par son imagination et son projet, on va poser les blocs les uns sur les autres : l'un fera une cathédrale, quand un autre en tirera un château ou simplement un mur en pierres sèches…

Pour construire avec ces blocs, vous n'avez pas besoin de connaitre la logique qui a permis à ces blocs d'exister, vous n'avez qu'à savoir vous en servir et les empiler. Ceci rejoint le propos de Ian Stewart qui a écrit dans « Dieu joue-t-il aux dés ? » :
« Ce dont nous avons besoin, c'est de la théorie de la simplicité, pas de la théorie de la complexité. Il y a une rhétorique de la science réductionniste qui prétend que, même si la chèvre ne le sait pas, des choses immensément compliquées doivent se produire en elle pour qu'elle se comporte cette façon. (…) Il vous semble, à vous et à la chèvre, que ce qui se passe est simple : mais, en fait, cela ne l'est pas. (…) Une théorie des particules subatomiques est fongible quand on la regarde à partir du niveau de la chèvre. Il faut bien qu'il en soit ainsi, ou bien nous n'aurions jamais été capables de garder une chèvre sans passer auparavant un doctorat de physique subatomique. »

Lego ou Meccano ont apporté à tous les enfants de nouveaux blocs simples pour donner libre cours à leur imagination. McDonald a dominé le monde des hamburgers en le décomposant en briques élémentaires – le pain, la viande, les frites…–, en industrialisant chaque composant et en en facilitant l'assemblage. Le jeu de go repose sur des règles que l'on peut énoncer et comprendre en une minute…

Quand la complexité repose sur des composants eux-mêmes complexes, elle est fragile et vulnérable. Quand elle repose sur des blocs simples, elle est efficace et souple.

A garder en mémoire…

2 avr. 2010

COMMENT POUVONS-NOUS CONSTRUIRE DES RÈGLES COMMUNES ?

______ Éditorial du vendredi________________________________________________________________

Rappel du patchwork de la semaine :
- Lundi : Comme tous les systèmes vivants, une entreprise se compose et se décompose sans cesse. Elle perdure et se développe au travers de ses transformations grâce à l'existence des règles qui la définissent. Sans la culture commune qui est le résultat de ces règles et de son histoire, elle ne serait qu'une juxtaposition d'individus et de systèmes…
- Mardi : Les statistiques présupposent que l'on peut mathématiser le monde et le comportement humain. La lecture du dernier livre de Florence Aubenas nous montre le décalage qu'il y a entre tous ces rapports d « experts » et la vie au quotidien. Quand comprendrons-nous qu'il faut redonner droit de cité à l'observation et à la compréhension ?
- Mercredi : A force d'ajuster les entreprises à leur situation actuelle, à force de tout optimiser et de supprimer ce qui n'est pas directement indispensable, on supprime le flou et les réserves, rendant ainsi les entreprises cassantes. Elles en deviennent d'autant plus vulnérables à un changement de leur environnement.
- Jeudi : Souvent nous rêvons d'un monde qui ressemble à celui des livres de cuisine, un monde dans lequel l'application de recettes et le choix des bons ingrédients vont garantir l'obtention du résultat. Mais dans ce monde de la certitude, où serait la place de la créativité, de l'intelligence et de la liberté ? Comment espérer sans incertitude ? 

Quand je regarde le fonctionnement de notre monde actuel, je vois surtout des juxtapositions et des télescopages, et bien peu un monde commun. Nous sommes encore bien loin d'habiter collectivement notre « Neuromonde », chaque nation, voire chaque « tribu » » restent dans sa logique. Comment arriver à construire ces règles communes, cette culture mondiale sans tomber dans le nivellement ou l'affrontement ? Tel est un de nos défis d'aujourd'hui. 
J'aime particulièrement l'approche que propose François Jullien dans « De l'universel, de l'uniforme, du commun et du dialogue entre les cultures ». Il y écrit ainsi : « Envisager les cultures sous l'angle « matériel », celui du contenu et des valeurs, aboutit nécessairement à un rapport de forces entre ces cultures... Soit j'impose mes valeurs aux autres, soit je leur cède... Ne pourrait-on cependant négocier ? Mais je crois justement que des valeurs ne se négocient pas... La solution, autrement dit, n'est pas dans le compromis, mais dans la compréhension. La tolérance entre valeurs culturelles, elle dont on ne cesse de dire aujourd'hui l'urgence entre les nations, ne doit pas venir de ce que chacun, personne ou civilisation, réduirait la prétention de ses propres valeurs ou modérerait son adhésion à leur égard, ou même « relativiserait » ses positions (pourquoi l'Europe marchanderait-t-elle tant soit peu sur la liberté ?)... Une telle tolérance ne peut venir que de l'intelligence partagée... Chacun s'ouvre également, par intelligence, à la conception de l'autre. »
Faire cela suppose de ne plus penser le monde à coup de statistiques, de calcul et de prévision, mais de passer du temps à s'observer et à se comprendre. Comme Florence Aubenas l'a fait à Ouistreham, nous devrions faire des plongées en profondeur et croisées pour nous comprendre les uns les autres. 
Cela suppose aussi de ne pas penser le monde à coup de rétroviseur : les nations qui structurent notre organisation collective sont le fruit du passé, et ne sont pas nécessairement adaptées à ce que sera notre futur.
En adaptant très précisément une entreprise à sa situation actuelle, on la fragilise et on la rend incapable d'évoluer. A trop ajuster chacun de nos pays à son passé et à ses contraintes actuelles, sommes-nous en train de préparer le futur collectif ? 
Enfin, arrêtons de faire confiance à de prétendus experts et à leurs recettes de cuisine – quelles qu'elles soient ! – : le futur de notre monde reste incertain et très largement entre nos mains.

C'est cette incertitude qui doit nous donner l'espoir : c'est parce que nous ne connaissons pas le futur que le meilleur est possible…






25 mars 2010

NOUS SOMMES PRIS DANS LES MAILLES DU FILET DE NOTRE INTERDÉPENDANCE

Tous connectés, tous proches, tous codépendants

"Grâce au langage, nous avons appris à manipuler des concepts et des représentations, et à construire des interprétations. Grâce à l'écriture, nous avons pu stocker de l'information non plus seulement dans notre mémoire personnelle, mais aussi dans un support externe, début d'exodarwinisme mental en reprenant la terminologie de Michel Serres. Grâce à l'imprimerie, ce stockage externe a gagné en puissance avec la multiplication facilitée par la reproduction.
Ce processus se poursuit avec l'arrivée des technologies de l'information :

- Elles viennent donner une toute nouvelle puissance au stockage de l'information : nous sommes constamment à un clic tant de la sauvegarde que de l'accès, et on peut stocker aussi bien de l'écrit et de l'image que du son. Le coût du gigaoctet s'effondre et devient de plus en plus une commodité dont la charge tend vers zéro. Ce stockage se fait maintenant sur le réseau et, grâce à l'indexation, aux liens RSS et aux moteurs de recherche comme Google, l'accès est facile et immédiat quel que soit l'endroit où l'on se trouve.
- Elles nous connectent progressivement tous, individus comme systèmes : le monde devient progressivement une grande toile réticulée qui nous prend dans ses filets. Tout peut se propager : comme la toile d'une araignée vibre à la moindre proie qui se prend dans les mailles, nous résonnons au moindre aléa.
- Chacun peut vivre intellectuellement des situations sans avoir à les expérimenter physiquement : chacun peut avoir un avatar et circuler dans le cyberespace pour y interagir avec d'autres excroissances virtuelles. Le développement des systèmes experts facilite l'élaboration de scénarios et la construction de représentations : il est possible de traiter une quantité de plus en plus grande d'informations, de structurer automatiquement des analyses et des synthèses à partir de ce traitement, d'élaborer des représentations de ces résultats plus facilement manipulables dans l'esprit humain.

De plus, nous sommes non seulement connectés par des systèmes, mais aussi physiquement au contact les uns des autres : nos corps se touchent de plus en plus. Depuis un siècle, la croissance de la population humaine s'est brutalement accélérée : en cinquante ans, nous venons de passer de deux milliards et demi d'hommes à six milliards, alors que nous n'étions qu'un milliard, il y a deux cents ans, et deux cent cinquante millions, il y a mille ans. Demain, en 2050, nous serons probablement neuf milliards.
Dans le même temps, l'impact de chacun de nous est démultiplié par tous les outils mis à notre disposition : grâce aux « objets-monde », il suffit de quelques hommes pour agir sur le monde tout entier. 
Résultat, comme l'écrit Michel Serres, « nous dépendons enfin des choses qui dépendent de nous. (…) Ladite mondialisation me paraît aujourd'hui au moins autant le résultat de l'activité du Monde que des nôtres. » (*)

Qu'est-ce à dire ? Que nous sommes pris dans les mailles de l'effet de nos propres actes, que la boucle d'interaction entre l'action et ce sur quoi on agit devient prépondérante. Témoin les débats actuels sur le climat et le réchauffement de la Terre, l'eau, la pollution, l'énergie…
Conséquence, l'horizon du flou se rapproche et il devient de plus en plus aléatoire de voir précisément au-delà d'un horizon proche. Très vite, nous ne pouvons au mieux que prévoir les grandes tendances, et non plus les évolutions précises.
Plutôt que parler d'horizon de flou, je devrais parler de flou progressif : plus je m'écarte du présent, moins je vois clair. A un moment, le flou est tel que je ne perçois plus que les grandes lignes.

Vers quel système d'organisation allons-nous ? A quoi va ressembler demain ce « Neuromonde » en train d'émerger ?
Personne ne le sait vraiment. Simplement, ce sera un monde où il sera très difficile de démêler les fils, où une action en un point pourra se répercuter de partout. Toutes les crises récentes témoignent de ce flou qui nous envahit de plus en plus."


(Ce texte est un extrait de mon nouveau livre "Les mers de l'incertitude" - p. 67-68 - à paraître fin mai)

(*) Le temps des crises,