28 févr. 2013

AVOIR UNE DIRECTION GÉNÉRALE QUI DÉCIDE DE LA STRATÉGIE, CE N’EST PAS LIMITER LA LIBERTÉ… BIEN AU CONTRAIRE !

La pensée stratégique en univers incertain (8)
Donc décider la méta-stratégie et les chemins stratégiques relève de la Direction Générale, et inutile de chercher à associer beaucoup de monde autour d’elle, car ce serait une perte de temps et une dilution de l’efficacité : on ne peut pas fixer le cap en étant une multitude à réfléchir. Ceci ne veut évidemment pas dire que la Direction Générale doit être coupée de son entreprise. Surtout pas ! Elle doit être nourrie par elle, et, si possible, y avoir grandi pour la connaître de l’intérieur.
Ma conviction et mon expérience m’ont montré que ce que attendent ceux qui composent l’entreprise, ce n’est pas d’être associé à la décision de ces objectifs ultimes, mais que ces choix soient faits, qu’ils soient clairs, et que chacun sente que la Direction Générale est unie et convaincue de leur bien-fondé.
Mais alors qu’en est-il du 3ème niveau, celui des actes stratégiques, ne relève-t-il pas lui aussi de la Direction Générale ?
Non car, dans les grandes entreprises, c’est-à-dire celles qui opèrent mondialement et sont composés de filiales et divisions multiples, c’est la responsabilité des patrons d’unités : c’est à eux de réfléchir, à partir de ce qu’ils connaissent de leur division, filiale ou groupe de filiales, comment traduire la stratégie globale en stratégie locale, ce que j’appelle actes stratégiques.
Revenons une fois de plus sur le cas de L’Oréal : vu le nombre de marques et de pays, comment la Direction Générale pourrait décider de la stratégie de chaque marque ? Cela n’aurait aucun sens, serait dangereux et contre-productif. Non, son rôle est de s’assurer que chaque patron de marque ou de pays a convenablement compris la stratégie globale, puis de challenger leurs propositions pour les obliger à approfondir leurs réflexions. La Directeur Général se mue en une forme de coach stratégique qui explique, forme, soutient, conteste… et in fine, valide ou non. Alors la stratégie des marques émergera des situations réelles, venant en quelque sorte à la rencontre de la pensée théorique de la Direction Générale qui avait, elle, imaginé la stratégie globale.
Quant au 4ème niveau, c’est celui des opérations. Et ne nous trompons pas, il est riche et difficile.
Je me souviens encore de ce matin de printemps 2006 où le Directeur Général de la filiale dans laquelle je me trouvais, est venu, accompagné du Directeur marketing, me dire : « Robert, nous avons décidé de lancer un nouveau shampooing au sein de la filiale. Il doit être positionné autour de la vitalité. A vous de jouer ! »
Je ne me suis pas senti frustré de ne pas avoir participé à la décision de lancer un tel shampooing, car comment aurais-je pu apporter quoi que ce soit, moi qui n’étais qu’un chef de groupe marketing débutant.
Je ne suis pas non plus senti bridé, car il me fallait traduire cette idée en réalité : trouver la marque, la formule, le packaging, le niveau de prix, la communication… Le champ était vaste et passionnant, et j’avais quasiment carte blanche et le soutien du groupe pour le faire. Bien sûr chacun élément a été validé, chaque option a été discutée, mais c’est bien moi qui proposait.
Cette expérience reste, aujourd’hui encore, un de mes meilleurs souvenirs.
Voilà ma vision de la stratégie et de son articulation avec les opérations.

Demain, comme tous les vendredis, vous trouverez une digression à partir de photographies témoignant de voyages passés. Puis pour le mois à venir, un « Best of » car je vais d’abord respirer l’air des montagnes, puis me centrer sur l’écriture de mon prochain livre. Retour au live donc début avril au plus tard !

27 févr. 2013

CHOISIR LA MER ET LES CHEMINS D’ACCÈS RELÈVE DE LA DIRECTION GÉNÉRALE

La pensée stratégique en univers incertain (7)
Dès le début de cette série d’articles sur la pensée stratégique, j’indiquais que la stratégie était l’apanage du dirigeant, et que c’était bien là le champ privilégié où il devait exercer son pouvoir, et surtout son talent de décideur. Mais il fallait d’abord avoir précisé ce que j’entendais par stratégie. C’est chose faite avec les 4 niveaux :
- la méta-stratégie qui fixe le cap, la mer que vise le fleuve : la beauté pour L’Oréal, la nutrition et la santé pour Nestlé, l’habitat pour Saint Gobain…
- les chemins stratégiques qui définissent comment l’on va se rapprocher de cette mer : les produits pour la peau, les cheveux et les parfums, portés dans des marques mondiales couvrant tous les circuits de distribution pour L’Oréal,
- les actes stratégiques qui précisent comment on avance sur ces chemins : le portefeuille de marques avec pour chacune son positionnement, toujours pour L’Oréal,
- les actions opérationnelles qui concrétisent les actes stratégiques : les produits effectivement lancés
Ma conviction est que le rôle majeur, et en fait unique, de la Direction Générale est de se centrer sur les deux premiers niveaux qui sont ceux qui définissent le cadre stratégique stable de l’entreprise : la méta-stratégie et les chemins stratégiques.
En effet d’abord ce sont eux qui engagent le long terme de l’entreprise et sont l’ossature et le ciment de tout le reste. Se tromper sur eux, c’est tout l’édifice qui s’effondre : viser une mer qui n’en est pas une, soit parce qu’elle n’est pas réellement un besoin stable et durable, soit parce qu’elle est inaccessible et incompatible avec ce qu’est l’entreprise, et tous les efforts seront vains. Choisir des chemins qui seront des impasses ou qui ne rapprocheront pas de la mer visée, et rien ne sera construit, les ressources seront dilapidées.
Ensuite, les trouver est un art difficile et complexe qui allie une qualité de visionnaire – être capable de s’abstraire des bruits ambiants et des idées reçues pour penser à partir du futur pour percevoir les points fixes, et imaginer ce qui n’existe pas encore –, et de réalisme – savoir s’assurer que cette vision n’est pas un rêve inaccessible, et qu’elle est compatible avec ce que peut faire l’entreprise –. Ce travail doit être mené par un noyau extrêmement restreint, et aux compétences adaptées à ces difficultés.
Enfin, ce choix n’est pas à faire souvent, au contraire : on choisit sa méta-stratégie et les chemins pour toujours… ou presque. Une fois le choix fait, ce n’est plus que d’inflexions et d’enrichissements qu’il s’agit. Aussi si la Direction Générale doit avoir toujours en tête ces deux premiers niveaux de la stratégie, cela ne va pas mobiliser beaucoup de son temps… une fois qu’ils auront été définis.
L’action quotidienne de la Direction Générale sera surtout alors de s’assurer de la bonne compréhension par tous de ces choix, et de valider tout ce qui émerge à partir de là, c’est-à-dire ce qui se passe pour les niveaux 3 et 4.
(à suivre)

26 févr. 2013

LES MATRIOCHKAS DES ACTES DE L’ENTREPRISE

La pensée stratégique en univers incertain (6)
Résumons où nous en sommes :
- 1er niveau : l’entreprise a choisi la mer qu’elle vise, sa méta-stratégie, ce point fixe qui guide durablement ses efforts. Dans le cas de L’Oréal, cette méta-stratégie est la beauté.
- 2ème niveau : elle a défini les chemins qu’elle veut suivre pour atteindre cette méta-stratégie. L’Oréal a précisé qu’elle s’intéresse à la peau (cosmétique et maquillage), le parfum et les cheveux, en étant présente dans tous les canaux de distribution, ce au travers de marques mondiales, dédiées à un canal donné. Cette stratégie n’a pas vocation à évoluer, sauf événement majeur.(1)
- 3ème niveau : elle a précisé comment traduire ces chemins en actes stratégiques précis, c’est-à-dire comment transformer ces chemins théoriques en actes concrets. L’Oréal a défini la liste de ses marques, en indiquant pour chacune son positionnement, son canal, et les familles de produits qui la composent. Ce portefeuille évolue dynamiquement, ainsi que les familles de produits présentes, ce en fonction de l’avancée de l’entreprise et du contexte concurrentiel.
Reste maintenant à mettre en œuvre effectivement ces actions stratégiques, et à développer des produits jusqu’à les amener jusqu’aux clients : quelles sont les actions exactes à réaliser au cours de l’année en cours et des années suivantes en terme de fabrication, de commercialisation, de conception… Tel est le rôle du 4ème niveau.
Ainsi au sein du L’Oréal, pour chaque marque, les produits à développer et commercialiser sont précisés, par exemple : combien de shampooings, avec combien de références, et en réalisant tout ce qui est nécessaire pour que chaque shampooing soit effectivement accessible aux clients : film publicitaire, packaging, formule, prix, référencement dans la distribution… Ce quatrième niveau est sans cesse remis en cause et adapté : les produits existants sont revisités pour s’assurer que leur positionnement reste valable, les films publicitaires sont modernisés, des promotions et des animations ont lieu… En parallèle, sont mis en place les processus industriels assurant l’élaboration des produits au meilleur coût.
On a donc de la sorte un emboîtement en poupées russes, une fois de plus des matriochkas : des actions immédiates qui réalisent des produits, emboîtées dans des marques qu’elles contribuent à construire, elles-mêmes donnant naissance à l’expansion mondiale de l’entreprise dans les marchés qu’elle a choisis, ceci la rapprochant chaque jour un peu plus de sa mer, et donnant corps et réalité à sa méta-stratégie.
Telle est ma réponse à comment articuler stratégie et actions quotidiennes. Cette réponse étant donnée, je vais pouvoir revenir au rôle du dirigeant, et de ce sur quoi doit porter sa décision.
(à suivre)
(1) Une inflexion a été donnée à partir des années 80, avec l’adjonction de la notion de marque ombrelle qui, au sein d’une marque, regroupe une famille de produits. Ainsi les produits coiffants de la marque L’Oréal sont tous fédérés sous la marque ombrelle Studio Line, les shampooings sous celle d’Elsève. Ceci permet de consolider les investissements publicitaires, et assurer une stabilité de la marque ombrelle, alors que les produits qui la composent changent rapidement.

25 févr. 2013

LES ACTES STRATÉGIQUES DESSINENT LES CHEMINS QUI VONT À LA MER

La pensée stratégique en univers incertain (5)
En reprenant l’exemple de L’Oréal là où je l’avais laissé dans mon dernier article, voilà donc l’entreprise dotée non plus seulement d’une méta-stratégie, cette mer qu’elle vise, mais d’une stratégie qui précise les familles de produits auxquelles elle s’intéresse, et la volonté de disposer d’un portefeuille de marques mondiales couvrant tous les circuits de distribution, et spécialisées dans un circuit donné.
On arrive alors au troisième niveau, celui des actes stratégiques, ceux qui vont effectivement chercher à rendre concrète la stratégie : quelles sont les marques que L’Oréal veut lancer et entretenir ? Pour chacune, quels sont sa promesse, son circuit de distribution, et la famille de produits qu’elle recouvre ?
Autant les deux premiers niveaux sont extrêmement stables, autant ce troisième est dynamique et évolutif :
- Le positionnement d’une marque est figé dans ses grandes lignes, notamment quant au circuit de distribution et au niveau de prix, mais il évolue dynamiquement en fonction de la situation concurrentielle, ainsi que des autres marques se développant au sein du groupe L’Oréal. Ainsi, l’acquisition d’une nouvelle marque peut amener à lui rattacher une marque existante, comme cela a été le cas avec Gemey suite à l’acquisition de Maybelline.
- Les familles de produits inclus dans une marque sont susceptibles de changer, essentiellement par ajout : ainsi la marque L’Oréal comprend une ligne cosmétique seulement depuis le début des années 80, et une ligne de gels coiffants depuis le milieu des années 80.
- Au sein d’une famille de produits, les produits effectivement présents changent beaucoup plus fortement : par exemple les produits coiffants de L’Oréal sont regroupés sous la marque ombrelle Studio Line, et sont en perpétuelle évolution.
Mais avec cette dernière remarque, on passe au quatrième niveau, celui qui ne relève plus de la stratégie, mais de la mise en œuvre de celle-ci : une fois décidé le lancement ou l’élargissement d’une marque, comment faire en sorte que tel ou tel produit soit effectivement accessible au client, et ce dans les meilleures conditions concurrentielles ?
(à suivre)

22 févr. 2013

ÉTRANGERS DANS LEUR PAYS

Guatemala 1997
La folie de la sortie de l’aéroport de Guatemala city, et le calme des rues d’Antigua sont loin, le marché de Chichicastenango bat son plein, mais ce n’est plus lui qui attire mes regards et concentre mon attention.
En lisière des échoppes, trône une église, nappée de fumée. Sur les marches, des Indiens et des Indiennes devisent.
Ont-ils comme moi voulu se retirer un peu de l’effervescence des transactions qui s’enchaînent sans fin ? Sont-ils des marchands ou des passants ? Comment savoir, et quelle importance ?
Et que ressentent-ils au pied de ce Dieu qui leur a été imposé, et leur semble encore si étrange ? Font-ils semblants en souvenir des répressions vécues par leurs ancêtres ?
Plus je les regarde, et plus ce sont des questions qui m’envahissent. Je ne sais plus qui est étranger à cette scène, eux ou moi.
Comment relier le passé qui émerge de leurs tenues chamarrées et celui des pierres ? Ne suis-je pas plus issu du catholicisme qui dégouline sur ces marches, qu’eux ?
Finalement, je crois que leur sitting est une protestation contre cette religion qui n’a jamais été la leur, un cri silencieux contre ces envahisseurs que j’incarne et représente, un pied-de-nez à ce Dieu auquel ils tournent le dos.

21 févr. 2013

LES CHEMINS QUI MÈNENT À LA MER

La pensée stratégique en univers incertain (4)
Une fois qu’une entreprise a choisi sa mer, sa méta-stratégie, sa vision comme certains l’appellent, comment la relier au quotidien de l’entreprise ? En effet, si les actions immédiates mise en œuvre ne sont pas en cohérence avec cette méta-stratégie, si rien n’est fait pour se rapprocher de sa mer, ne serait-ce que de quelques mètres, elle restera une vision théorique et fictive : pour qu’une méta-stratégie en soit une, encore faut-il qu’elle se concrétise dans le quotidien !
Comment donc passer de cet objectif lointain aux actions immédiates ?
Une deuxième étape est nécessaire, et qui, elle aussi relève de la stratégie, mais qui est moins stable que la vision : quels sont les chemins que, compte-tenu de ses ressources actuelles et de la situation concurrentielle, se fixe l’entreprise pour avancer vers sa mer, chemins qui doivent être les plus résilients possible, c’est-à-dire les moins susceptibles d’être remis en cause ?
Prenons l’exemple de L’Oréal : sa méta-stratégie, sa mer, est la beauté.
Premier niveau de traduction et d’explicitation : L’Oréal a décidé de s’intéresser non pas à la beauté en général, mais à la beauté au travers des cheveux, de la peau et du parfum. Concernant la peau, il a été considéré que seuls les produits de soin en faisaient partie, excluant tout ce qui est savon (1). Ceci permet de définir toutes les familles de produit auxquelles il faut s’intéresser : shampooing, laque, gel, cosmétique, maquillage, parfums…
Deuxième niveau de traduction : L’Oréal a décidé d’être présent dans tous les circuits de distribution : grand public (hypermarchés, supermarchés, magasins populaires, grands magasins), coiffeurs, pharmacie, parfumerie, vente à distance…
Troisième niveau de traduction : ceci se fera au travers de marques mondiales, dont chacune portera une promesse spécifique, et sera focalisée sur un circuit de distribution.
Ces deux choix sont bien stratégiques, car ils engagent le futur de l’entreprise et structurent ses actes. Idéalement, ils n’ont pas à être remis en cause, mais rien n’est figé : L’Oréal peut revoir les produits auxquels l’entreprise s’intéresse, et les circuits de distribution évoluent.
Quant au portefeuille de marques, il évolue au fur et à mesure du développement de L’Oréal : au départ deux marques phare, L’Oréal et Lancôme ; aujourd’hui la liste est longue, avec en plus Garnier, Vichy, Biotherm, et bien d’autres (voir la photo ci-jointe). Mais cette liste de marques relève déjà largement du troisième niveau.
Nous voilà donc passé d’une méta-stratégie stable et qui fixe définitivement le cap, à une traduction en des termes beaucoup plus concrets.
Une remarque sur ces chemins : plus ils seront nombreux et indépendants les uns des autres, plus la stratégie sera globalement résiliente aux aléas.
Restent maintenant à passer aux actions concrètes à mener dans l’entreprise, notamment ces marques et leurs produits réels.
(à suivre)

(1) Notons toutefois que les savons douche liquide, compte-tenu de leur adhérence avec les shampooings, n’ont pas été écartés.

20 févr. 2013

LA MER OU LA MÉTA-STRATÉGIE, CE POINT FIXE CHOISI POUR LA VIE

 La pensée stratégique en univers incertain (3)
Qu’est-ce donc que la stratégie, et comment la définir en la reliant aux activités de l’entreprise ?
Pour ce faire, je crois qu’il est indispensable de penser en fonction des différents horizons qui se présentent à l’entreprise. J’en distingue personnellement quatre.
D’abord le plus lointain, celui qui fixe l’objectif à très long terme, ce point fixe que doit choisir une entreprise et s’y tenir : c’est ce que j’appelle « la mer », ce futur qui attire la course des fleuves. 
C’est souvent ce qui est appelé la vision, mais je lui préfère le mot de stratégie, voire de méta-stratégie, car je crains que d’aucuns pensent qu’une « vision » est théorique et utopique.
Bien au contraire, même si cet objectif n’est jamais atteint, c’est lui qui doit orienter l’ensemble des actes de l’entreprise. 
Ainsi L’Oréal n’en a-t-il jamais fini de viser la beauté, Danone et Nestlé la nutrition et la santé, ou Saint Gobain l’habitat.
Je rappelle que cette méta-stratégie est choisi pour la vie, car, comme je l’écrivais dans les Mers de l’Incertitude, :
« C’est possible : une mer est un attracteur stable dans le chaos du monde, un besoin fondamental et stable qui, quels que soient les aléas, sera toujours là. Les problèmes sont toujours multiples et leur résolution est une tâche sans fin.
C’est nécessaire : comme un fleuve se renforce au fur et à mesure qu’il progresse, une entreprise ne peut pas changer de mer sans repartir de zéro. Au début, une entreprise n’a qu’une intuition de la mer, c’est petit à petit qu’elle va développer une compréhension fine, créer des offres de mieux en mieux adaptées, développer des savoir-faire internes…
C’est l’identité même de l’entreprise : c’est la mer qui donne le sens à l’action collective et soude les équipes internes. Changer de mer, ce n’est pas seulement changer de stratégie, c’est changer d’identité. Changer de mer, c’est risquer de ne pas être compris et suivi, de voir éventuellement même éclater l’entreprise. »
Mais comment s’articule cette méta-stratégie, avec le quotidien de l’entreprise ?
(à suivre)

19 févr. 2013

STRATÉGIE, VOUS AVEZ DIT STRATÉGIE ?

La pensée stratégique en univers incertain (2)
Voilà donc bien un thème qui reste l’apanage du dirigeant : fixer la stratégie. Personne ne conteste que ce soit de sa responsabilité, et tout le monde s’attend à ce qu’il la décide.
Aucun doute là-dessus… quoique s’est développée ces dernières années la mode de la stratégie participative : un processus stratégique devrait impliquer un maximum de personnes, et émerger d’un travail collectif. C’est devenu tellement une mode, que c’est presque un lieu commun, voire un dogme pour bon nombre. Oser imaginer que la stratégie serait le fruit de quelques-uns perdus dans les moquettes d’un siège lointain serait donc un crime de lèse-majesté contre le bon sens communément partagé.
Et bien, au risque de me retrouver cloué au pilori par les spécialistes de tous bords, j’en suis arrivé à penser le contraire.
Pourquoi ?
Commençons par définir les mots que l’on emploie, cela ne fait jamais de mal. Que veut dire « stratégie » ? Je constate qu’il est employé quotidiennement, ce sans que l’on se rende compte combien il peut être ambigu, et générateur de contre-sens.
Pour certains, vu l’incertitude qui règne, dès que l’on dépasse le court terme, c’est-à-dire l’horizon du budget, la stratégie commencerait. On aurait ainsi la juxtaposition entre des actions immédiates et une stratégie, qui, dès lors, se trouverait fluctuer au hasard des évolutions et des humeurs. N’est-ce pas alors la négation même de la stratégie ?
D’autres parlent d’un marketing stratégique qui viendrait s’intercaler entre le marketing et la stratégie. Pour cela, il requalifie le marketing, de marketing opérationnel. Est-ce à dire que le marketing stratégique ne le serait plus ? Quel est aussi le sens respectif de la stratégie et du marketing stratégique ? Personnellement, je n’y ai toujours vu surtout qu’une immense confusion, et un manque de clarté.
Enfin pour beaucoup, la stratégie est, comme je l’indiquais ci-dessus, ce sur quoi la collectivité des dirigeants, ce en associant le plus grand nombre, est d’accord. L’hypothèse implicite est que l’élargissement de la participation conduirait à un enrichissement de la stratégie et à une meilleure mise en œuvre ensuite. Mais comment penser que, vu l’incertitude qui se diffuse et la complexité des analyses à synthétiser, le cap va émerger d’un tel élargissement ? Et pourquoi les compétences requises pour réussir à élaborer une stratégie seraient celles requises pour manager au plan opérationnel ?
Les grands gagnants de cette expansion de processus stratégiques complexes, et de plus permanents et sans cesse renouvelés et enrichis, sont les cabinets de conseil qui y voient un eldorado sans fin. Mais je doute que ce soit celui de leurs clients…
(à suivre)

18 févr. 2013

PRIVILÉGIER L’ÉMERGENCE À LA DÉCISION

La pensée stratégique en univers incertain (1)
Il y a deux semaines, j’avais terminé une série de cinq articles consacrés à « pourquoi toute décision est faussée », en concluant que, au mieux le ou les décideurs étaient identifiés, mais que leur connaissance de la situation était toujours imparfaite, et que les conséquences réelles de toute décision étaient largement inconnues. De plus comme je le rappelais la semaine dernière, tout dirigeant doit savoir que ses processus inconscients sous-tendent largement ses choix.
Comment alors diriger et comment fonder ses décisions, sans se fonder uniquement au hasard et à la chance ?
Première remarque de bon sens, puisque tout décision est faussée, moins on décide, mieux on se porte, et moins on a de chances de se tromper. Ainsi je crois que diriger efficacement, n’est pas d’abord de décider, mais de permettre à l’entreprise de décider, ou plus exactement puisque l’entreprise n’est que l’expression des hommes qui la composent, et des systèmes qui les organisent, faire en sorte que le mode de management, le choix des hommes et les systèmes en place conduisent à une émergence efficace.
Ce management par l’émergence, je l’ai déjà évoqué dans des articles parus en février et mars 2012, et repris l’été dernier en un seul article. Je ne vais donc pas revenir à nouveau en détail sur dessus, je cite simplement les thèmes qui y sont développés :
Relier mer visée et action individuelle : faire en sorte que chacun comprenne en quoi ce qu’il fait se relie au tout,
Allier inquiétude et optimisme : savoir que le pire peut surgir à tout moment, s’y préparer, et tout faire pour qu’il n’arrive pas,
Rechercher la facilité pour pouvoir faire face à l’imprévu : comme l’imprévu va se produire, ne pas avoir de réserves et s’être mis dès le départ « dans le rouge », c’est être certain de ne pas aller au bout,
Ne pas tout définir, ne pas tout optimiser : le flou est indispensable pour permettre les ajustements dynamiques,
Se confronter continûment : être d’accord spontanément n’est ni normal, ni bon signe. La confrontation est une étape nécessaire pour ajuster les interprétations et les actions.
Savoir prendre son temps : la personne efficace est celle qui sait être un paresseux vertueux, c’est-à-dire quelqu’un qui alloue parcimonieusement son temps, et ajuste son rythme à ce qu’il traite.
Certes, mais il n’en reste pas moins que, même si diriger ce n’est pas quotidiennement décider, c’est aussi décider, et notamment fixer la stratégie de l’entreprise…
(à suivre)

15 févr. 2013

HISTOIRE DE TRAVESTISSEMENT

A Pékin (5)
Cinquième et dernière libre évocation de Pékin : une nuit en juillet 2005
La nuit est tombée depuis longtemps, pourtant l’air est toujours aussi moite et chaud. Difficile de respirer parmi les rues étroites dans lesquelles je circule à pied. Encore une heure à attendre avant que le spectacle ne commence. Un spectacle de travesti dans un petit bar perdu dans les méandres de la mégapole.
Alors j’avance lentement, au hasard des ouvertures et des rencontres. Pas mal de monde malgré l’heure tardive, mais bien peu par rapport à la foule de la journée. Douceur de l’ambiance, feutrée par le manque de lumière et la lourdeur de l’atmosphère. Peu de bruits, juste les bruissements des conversations et des cliquetis des baguettes.
Je m’assieds un moment pour manger avec eux et boire une bière. Impossible de se parler, car personne ne connaît l’anglais, et mon chinois est quasiment inexistant. Mais qu’importe, nous communiquons par des sourires et des regards…

Petit à petit, il se transforme. Tout à l’heure, il sera toujours lui-même, mais avec l’apparence d’une autre. Magie du travestissement et du jeu des apparences. Il pourra alors laisser place à sa fantaisie pour le plaisir des spectateurs réunis.
Petit à petit, j’oublie où je suis et ce que je vois : c’est la Chine qui est en train de se travestir. N’est-elle pas en train de perdre son âme en se lançant tête perdue dans une mondialisation qui n’a jamais été son histoire, ni sa culture ?
Comment, elle qui a toujours vécu coupée du reste du monde, protégée par des successions d’enceintes, le mur de la Grande muraille, le mur de la Cité Interdite, va-t-elle résister au flux de tous ces étudiants qui, après avoir séjourné plusieurs années en Occident, reviennent dans leur mère patrie ? Flux continu qui fait monter la puissance de l’hybridation.
Beaucoup en Europe ont peur du métissage du monde, mais nous nous sommes construits de métissages successifs. Notre histoire est faite de mouvements, de mélanges et de fusions. La Chine non.
Alors oui, la Chine, à l’instar de Hai en cette nuit pékinoise, se prépare à se transformer et à renaître nouvelle et différente. Que deviendra-t-elle ? Impossible à prévoir… 

14 févr. 2013

LA CONFIANCE NE SE DÉCRÈTE PAS, ELLE SE CONSTRUIT

Sans confiance, rien n’est possible
Cette semaine, j’ai abordé successivement le thème du temps, de la nécessaire décentralisation et des forces qui luttent contre elles, et hier le profil souhaité du dirigeant. Je vais la clore en revenant une fois de plus sur l’importance de la confiance.
En effet, la confiance n’est pas une valeur seconde, car :
- Elle est le socle du management dans l’incertitude : comment accepter l’incertitude, et comprendre qu’elle est source d’opportunités, si l’on a peur pour soi à court terme, et si l’on n’est pas convaincu que, en cas de problèmes, tous ceux qui m’entourent seront solidaires et source de support et de réconfort ?
- Elle est le ciment de l’action collective : travailler avec les autres, c’est ne pas avoir peur de se mettre à nu, être prêt à parler de ses doutes, savoir s’opposer quand on pense le contraire. Pensez à l’action des commandos : si les membres qui le composent ne sont pas soudés, rien n’est possible.
La confiance ne se décrète pas, elle se crée, et ce à quelques conditions :
- Chacun doit être convaincu que le chef n’est pas seulement compétent, mais juste et légitime. Il est le premier responsable du climat général dans l’entreprise. Un proverbe chinois dit : « Le poisson pourrit par la tête ».
- Le but poursuivi doit être fédérateur et vu comme lui aussi juste et légitime. Les armées se battent pour leur pays, une entreprise ne peut pas se battre collectivement pour un cash-flow.
- Chacun doit comprendre son rôle et comment il se relie au but poursuivi. La confiance ne naît pas de l’obéissance aveugle et subie.

13 févr. 2013

ON PEUT SOUS-TRAITER LES CALCULS, PAS LA PENSÉE

Vers des dirigeants visionnaires, philosophes et historiens ?
Dur, dur d’être un dirigeant performant, surtout si l’on croît qu’il s’agit seulement d’avoir une tête bien faite, garnie d’équations, de mathématiques et de business plan en tous genres !
Pour résumer ma pensée sur ce que devrait être le profil du dirigeant, voici quelques qualités qui me semblent essentielles :
- Il sait que, quels que soient ses efforts, ses décisions et ses actes seront conduits majoritairement par ses processus inconscients : Il doit l’avoir intégré, et donc se méfier des situations où son expérience et son passé pourraient l’amener à avoir des intuitions fausses. Ceci milite à ne pas vouloir diriger des entreprises dans lesquelles il n’a pas grandi, ou qui sont trop éloignées des précédentes où il a travaillé.
- Il a compris que l’incertitude n’est pas le témoin d’un déficit de connaissance ou une anomalie, mais le fruit du développement du monde, et croît inévitablement avec le vivant : s’il lutte contre l’incertitude, et croît qu’il la réduit par le contrôle et la prévision, il fait fausse route. Renforcer son entreprise, c’est accroître l’incertitude, tout en développant une capacité collective à en tirer parti.
Les mots et le langage qu’ils emploient, ne sont pas seulement ce avec quoi il communique, mais d’abord ce au travers de quoi il pense : comme il est important d’affûter un couteau pour découper efficacement une viande et savoir utiliser le bon tranchant, l’art du langage est celui de la précision. Tout dirigeant doit prêter attention aux mots qu’il utilise, et comment ils conditionnent sa pensée et la compréhension de ceux qui l’entourent. L’art des mots est souvent plus important que celui de l’art de la règle de trois, car les calculs peuvent être sous-traités, la pensée non.
Il recherche la confrontation comme moyen d’ajuster les interprétations : il sait que les points de vue de chacun dépendent de l’endroit où l’on se trouve et de sa propre expérience. Il est donc normal de ne pas être d’accord avant toute discussion, c’est l’inverse qui est surprenant et preuve d’évitement.
il inspire confiance et la diffuse dans toute l’entreprise : sans confiance, il est impossible de vivre dans l’incertitude et de développer une confrontation positive. C’est donc une qualité majeure du dirigeant, et doit être un des ses objectifs quotidiens : comment accroître la confiance collective et individuelle au sein de son entreprise.
En conclusion de ce panorama rapide des qualités qui me semblent requises pour diriger, je dirais que je le vois d’abord comme un visionnaire philosophe et historien, c’est-à-dire quelqu’un capable de voir où sont les mers qui attirent le cours des fleuves, de se préoccuper du sens des actes de son entreprise, et de comprendre l’importance et la vulnérabilité des interprétations.

12 févr. 2013

L’ILLUSION DU CONTRÔLE PAR LA CENTRALISATION

Croire piloter parce que l'on décide : "Decido, ergo sum" ! 
Plus celui qui décide est face à la situation réelle, plus il a entre les mains non seulement les données du problème, mais aussi les voies et moyens d’actions, et plus l’action entreprise a des chances d’être efficace.
C’est ce qui milite en faveur de la décentralisation, et à ne décider qu’a minima, au niveau central. Tel est bien la logique actuelle qui prévaut dans l’art militaire : donner de plus en plus d’autonomie aux forces de terrain, tout en veillant à ce qu’elles connaissent bien quel est le but visé.
Mais cette tendance est bien théorique dans les entreprises, et dans les faits, rarement mise en œuvre.
Pourquoi diable ? Ceci est dû souvent par une conjonction de causes :
Le déficit de confiance : celui qui détient les rênes du pouvoir se croît souvent supérieur, et pense que les abandonner aux autres est une prise de risque. Il ne voit pas combien sa compréhension de la situation peut être faussée par la distance, et combien la vraie prise de risque est décider lui-même les modalités de l’action.
L’illusion de la connaissance, notamment grâce aux systèmes d’information : grâce aux technologies de l’information, le centre est connecté en temps réel avec tout ce qui se passe, et imagine qu’il peut voir et comprendre tout ce qui advient, mieux que ceux qui sont sous l’épreuve des balles. Mais ces informations ne sont toujours que partielles, froides, et paradoxalement surabondantes : comment faire la synthèse de ces tableaux de chiffres qui défilent continûment ?
La globalisation des medias, et la vulnérabilité du centre : plus rien n’est loin du centre, et tout peut l’atteindre immédiatement. Une erreur même mineure, commise dans une filiale lointaine, peut avoir des effets catastrophiques, par exemple en terme d’image pour l’entreprise.
La judiciarisation du monde : Le dirigeant sait qu’il peut être juridiquement responsable de tout ce qui advient dans son entreprise, y compris pour des actes qu’il n’a pas personnellement décidé. Ce n’est vraiment de nature ni à la détendre, ni à faciliter la décentralisation.
Malgré tous ces obstacles réels, je reste convaincu que la pire des décisions est de vouloir décider de tout et de ne pas décentraliser… mais cela ne veut pas dire qu’il faut le faire sans en définir les règles et les modalités !

11 févr. 2013

SALE TEMPS POUR LA RÉFLEXION ET L’ACTION

Décider trop tôt n’est pas décider à temps !
Le monde est de plus en plus turbulent, et tous les managers sont pris dans des tourbillons contradictoires.
Ainsi que je l’écrivais dans mon livre, Les mers de l’incertitude, il ne faut pas pour autant être malade du temps :
« Si agitation rimait avec efficacité, toutes les entreprises seraient performantes. Mais souvent, cette agitation rime avec moindre réactivité réelle, moindre compréhension de ce qui se passe, moindre rentabilité. Confusion entre activité et performance, agitation et progression… (…) Toute personne qui ne court pas et n’est pas débordée est suspecte. Même en réunion, on doit lire ses mails et y répondre, et seul le présent et le court terme comptent… (…)
Car, la question n’est pas d’aller vite dans l’absolu, mais d’adapter la vitesse à ce que l’on veut faire, d’ajuster rythme et durée. Une idée centrale est de comprendre l’interaction entre la durée d’observation et l’analyse que l’on peut mener : un corps observé sur une courte durée peut sembler solide, alors qu’il ne le sera plus au bout d’un certain d’observation. »
Quatre remarques pour compléter mes propos d’alors :
- Toute activité, toute entreprise, tout projet est un flux, un mouvement. Toute réflexion, notamment tout business plan, est une photographie, c’est-à-dire un arrêt sur image (même s’il est le plus souvent composé d’un ensemble de photographies prises à des instants différents). Il y a donc une perte de la réalité du temps qui, au lieu d’être continu, devient discret. Penser en terme de flux et de dynamique est pourtant essentiel.
- Ces flux ne sont pas toujours linéaires, ni en progression. Ils peuvent être circulaires, comme dans la succession des saisons et de l’agriculture. La distinction  entre flux linéaire et circulaire est majeure.
- Il faut savoir résister à la maladie collective de l’urgence, et, au contraire, décider le plus tard possible, car toute décision est la fermeture d’options. L’anticipation peut être souvent non seulement contre-productive, mais dangereuse.
- L’art de la décision est aussi celle du choix du moment où l’on prend la décision. Il n’y a en la matière aucune règle, à part celle d’avoir compris que ce choix était critique, et devait être réfléchi, et non pas simplement le résultat des courants et des événements. 

8 févr. 2013

ABSENCE DE CONNEXION

A Pékin (4)
Poursuite de mon patchwork chinois, cette fois les 22 et 23 décembre 2004
Noël est proche, plus que trois jours à attendre. Même si cette fête ne fait partie ni de la religion, ni de la culture chinoises, les rues de Pékin se sont quand même habillées pour la fête.
Mais, ici sur la place Tiananmen, rien ne transparaît de ces festivités. Le blanc de la neige souligne le rouge de drapeaux. A l’arrière-plan, coiffant l’entrée de la Cité interdite, trône toujours un portrait géant de Mao, rappel de l’empereur rouge disparu, qui, au contraire de Staline en Russie, n’a pas été déboulonné de l’iconographie officielle.
Difficile d’imaginer dans le calme de cet après-midi de décembre, que, quinze ans plus tôt, en juin, en ce même endroit, se déroulait le face à face entre un étudiant, symbole de la révolte, et un char, symbole du pouvoir en place. Sauf que le deuxième n’était pas qu’un symbole, mais bien l’expression d’une puissance bien réelle et déterminée à rester en place…

Dans la partie sud de Pékin, se tient le Palais du Ciel. Le palais y est petit, discret, le jardin domine. Parmi la multitude des allées, un alignement est essentiel, et relie directement ce jardin à la Cité Interdite. Au cœur de cet alignement, se trouve une pierre circulaire, apparemment anodine.
C’est pourtant elle qui concentre la magie du lieu, et c’est pour elle que l’Empereur venait se rendre ici. Sur cette pierre, si l’on médite selon les règles, on entre en communication avec le Ciel. L’internet avant l’heure en quelque sorte.
Juché sur elle, encapuchonné de jaune, j’ai essayé à mon tour. Rien ne s’est passé. Défaut de connexion manifeste. J’avais pourtant cru que la couleur de mon blouson, qui rappelait un peu le jaune que seul l’Empereur avait le droit de porter, ferait l’affaire. Mais non, manifestement pas.
Quand le boîtier de mon modem ADSL est défectueux, quand je n’arrive plus à me connecter, je peux appeler le service clientèle, la hot line. Drôle de nom pour désigner un service souvent inexistant et qui n’a rien de chaud… Mais au moins, j’ai l’impression de pouvoir faire quelque chose pour rétablir la connexion.
Ici, je ne vois ni combiné que je pourrais saisir, ou ni numéro à appeler. Seulement des Chinois qui me regardent interloqués…

7 févr. 2013

UNE COLOCALISATION COMPÉTITIVE ENTRE FRANCE ET MÉDITERRANÉE EST-ELLE IRRÉALISABLE ?

Et si la solution était de dépasser nos oppositions et nos peurs
L’Allemagne tire sa force non seulement de sa capacité à construire dynamiquement des consensus et des rapports de confiance entre les entreprises, et à l’intérieur des entreprises, mais aussi du maillage tissé avec les ex pays de l’Est : tirant parti du plus faible coût salarial, ses entreprises disposent d’un nouvel avantage compétitif. Sans compter que la croissance des ces pays, est aussi une source de revenus.
En France, nous avons d’abord à rebâtir ce climat de confiance, ce sera long, mais c’est indispensable. C’est le socle sans lequel rien ne sera possible.
Et si, comme l’Allemagne avec les pays de l’Est, nous avions aussi une opportunité pour accroître notre compétitivité et relancer notre croissance : le bassin méditerranéen. Telle est l’hypothèse que l’Ipemed abordait dans sa conférence sur la colocalisation en Méditerranée : est-il possible en tissant des partenariats entre des entreprises françaises et nord-africaines de construire une aire de co-développement ?
Il y a du chemin à parcourir, mais l’idée est séduisante, et est sans doute réalisable. Comme l’indique l’Ipemed dans son document de présentation : « Associer les deux rives dans un même système productif ne se fera pas facilement, ni de la même façon selon les secteurs d’activité. Dans certains cas, on en restera encore un certain temps à des délocalisations classiques, dans d’autres on se rapprochera d’un système productif intégré mais encore avec une forte dissymétrie en faveur du Nord. L’essentiel est de considérer que la colocalisation est un stade possible et souhaitable du vaste ensemble des partenariats productifs, et qu’elle montre que ces partenariats peuvent être équilibrés entre Nord et Sud, ce qui change la vision qu’on peut en avoir : le Sud n’est pas voué à rester en position subalterne, les remontées en gamme sont possibles, des champions nationaux peuvent et doivent émerger au Sud, des entreprises du Sud doivent pouvoir se développer en Europe. »
En 1955, Claude Lévi-Strauss écrivait à la fin de Tristes Tropiques : « Si, pourtant, une France de quarante-cinq millions d’habitants s’ouvrait largement sur la base de l’égalité des droits, pour admettre vingt-cinq millions de citoyens musulmans, même en grande proportion illettrés, elle n’entreprendrait pas une démarche plus audacieuse que celle à quoi l’Amérique dut de ne pas rester une petite province de monde anglo-saxon. Quand les citoyens de la Nouvelle-Angleterre décidèrent il y a un siècle d’autoriser l’immigration provenant des régions les plus arriérées de l’Europe et des couches sociales les plus déshéritées, et de se laisser submerger par cette vague, ils firent et gagnèrent un pari dont l’enjeu était aussi grave que celui que nous refusons de risquer. ».
Nous avons alors manqué cette chance historique. Saurons-nous saisir cette nouvelle qui se présente à nous, et construire de vrais partenariats équilibrés, bâtis sur la compréhension et le respect de l’autre ?

6 févr. 2013

LE FLOU DES CONSÉQUENCES : COMMENT PRÉVOIR ?

Toute décision est faussée (5)
Donc pour qu’une décision ait une chance d’être exacte, il faut que le sujet qui prend la décision soit défini, que l’objectif soit clair et mobilisable dans un délai compatible avec la vitesse d’évolution de la situation, et que cette dernière puisse être correctement interprétée. Pour parler trivialement, « C’est pas gagné »… mais possible.
Oui mais pour que la décision soit exacte, il faut que les conséquences issues de celle-ci soient conformes avec l’objectif visé et l’analyse faite. Or, comme l’a indiqué le Général Vincent Desportes dans son livre, Agir dans l’incertitude, en reprenant les propos de Clausewitz, et son « brouillard de la guerre » : « la guerre est le royaume de l'incertitude, trois quarts des éléments sur lesquels se fonde l'action restant dans les brumes d'une plus ou moins grande incertitude. » (1)
C’est la même chose pour toute entreprise, et encore pire : comment pouvoir prétendre modéliser tout ce qui va se passer ? Comment prévoir les conséquences de ses actes ? Comment anticiper les mouvements de la concurrence ? Comment savoir qu’elles seront les comportements des clients ? Comment avoir une vision mondiale de tous ces enchevêtrements ?
Impossible.
Voici donc ce qu’est, de fait, la situation idéale d’une prise de décision :
- Le ou les décideurs sont clairement identifiés, et savent que leurs processus conscients ne sont que la partie émergée de l’iceberg de leurs identités,
- L’objectif est connu et clair, c’est-à-dire que le ou les décideurs savent ce qu’ils visent, et l’ont dynamiquement à l’esprit
- La situation est aussi bien que possible analysée, tout en sachant que cette analyse repose sur des lacunes multiples et des a priori non moins multiples
- Les conséquences des choix éventuels sont évalués, sans se perdre inutilement dans les détails, puisque la seule certitude, c’est que l’on n’a aucune chance d’anticiper réellement ce qui va se passer.
Bref tout prise de décision est un pari sur le futur, et donc c’est en cela que j’ai dit au départ de cette série d’articles, qu’elle était faussée, car l’une ou l’autre des hypothèses, et très certainement un grand nombre, se révéleront inexactes.
Est-ce à dire qu’il est illusoire et dangereux de décider, et qu’il ne faut se confier qu’au hasard ? Non, ce n’est pas du tout ce que je pense, mais il faut être conscient de ces limites, et en tirer toutes les conséquences.
C’est là-dessus que je vais revenir prochainement…

(1) Voir l’article que j’ai consacré à son livre : Être discipliné ne veut dire ni se taire, ni éviter les responsabilités    

5 févr. 2013

LE FLOU DE LA VISION : QUE VOIT-ON ?

Toute décision est faussée (4)
Un décideur qui n’est pas toujours aussi clairement défini, des options qui sont parfois fictives, qu’en est-il maintenant de l’objectif et de la vision de la situation ?
Une autre façon de se poser la question de la clarté de l’objectif est de se demander si l’on est en capacité de relier cet objectif avec la situation présente, c’est-à-dire la décision à prendre, et surtout dans un délai de temps compatible avec la vitesse d’évolution de la situation présente. En effet, si ce délai est largement supérieur au temps disponible avant le moment où il faut décider, cela revient à dire que l’on n’a pas d’objectif. La disponibilité effective de cette connaissance et la capacité pour le sujet qui doit décider à l’intégrer à temps sont essentiels.
Notamment avoir des piles d’études détaillées, des prévisions multiples et complexes, ou des armoires de simulations diverses sont de bien peu d’utilité. L’objectif doit être mobilisable, donc simple, clair et présent dans la conscience de tous ceux qui participent à la décision.
Un objectif est une chose, mais faut-il aussi pouvoir lire la situation actuelle. Or cette lecture est, ainsi que je l’ai indiqué à de multiples occasions dans mes différents articles, une affaire d’interprétation : même si rien ne nous est caché, nous n’avons pas accès directement à ce qui se passe autour de nous, car les informations brutes n’accèdent jamais telles quelles à notre conscience ; dans tous les cas, elles sont enrichies de notre connaissance passée, de nos émotions, et des inférences faites par nos processus inconscients (1). Certes cet enrichissement est source de connaissance et d’accélération, mais il est aussi source d’erreurs, ce singulièrement dès qu’une rupture surgit.
Souvent en plus, nous ne voyons que partiellement la situation. Une partie nous est cachée par des obstacles, ou déformée par le brouillard de la distance. En effet le ou les décideurs ne sont pas en prise directe sur la totalité des faits, mais uniquement au travers d’autres personnes, donc en étant dépendants de leurs interprétations personnelles, et au travers de systèmes, donc avec le filtre de ce qui a été programmé dans les systèmes en question.
Mais certaines personnes ont un sens aigu du diagnostic, et avec peu d’informations, sont capables de procéder aux bonnes inférences. Pour peu alors que l’objectif visé soit accessible, elles sont donc à même de décider en connaissance de cause. Mais est-ce si certain, car il reste à examiner la quatrième et dernière composante : l’analyse des options…
(à suivre)

(1) Voir la série d’articles que j’ai consacré aux travaux de Stanislas Dehaene, et singulièrement les derniers portant sur le cerveau bayésien : Tout décision suppose une inférence bayésienneNous imaginons le monde avant de le vivre et Nous ne voyons pas ce que regardent nos yeux

4 févr. 2013

LE FLOU DES OPTIONS : EXISTENT-ELLES TOUTES RÉELLEMENT ?

Toute décision est faussée (3)
Donc le sujet qui décide est incertain et flou. Son image est brouillée par la puissance des processus inconscients, et par la complexité des organisations.
Qu’en est-il du premier objet de sa décision, à savoir l’existence de plusieurs options ?
Un souvenir lointain me revient. Il date d’un peu plus de vingt ans. J’étais en charge d’une mission de conseil pour le compte d’une grande entreprise française, appartenant alors au secteur public. L’objet de la mission était de bâtir la stratégie de ses activités de distribution : cette entreprise commercialisait elle-même ses services au travers d’un réseau d’agences, et se posait la question légitime de leur devenir.
Au lancement de la mission, une réunion avec mon interlocuteur au sein de l’entreprise, eut pour but de préciser le champ de l’étude, et les différentes variables à prendre en compte. Au milieu de la réunion, il me dit : « Robert, il est important que vous étudiez un scénario où nous n’aurions plus aucune agence en propre. »
Je l’ai regardé, interloqué, et lui ai demandé : « Certes, mais avez-vous une quelconque chance de mettre en œuvre un tel scénario ? Est-ce que les contraintes s’imposant à vous ne le rendent pas impossible ?
- Effectivement, me répondit-il.
- Alors pourquoi vouloir étudier ce qui ne pourra jamais être appliqué ? »
Il me regarda en souriant, et conclut qu’effectivement, il ne servait à rien d’étudier une telle variante.
Pourquoi est-ce que je raconte maintenant cette anecdote ? Parce qu’elle illustre une tendance que j’ai souvent constatée : nous nous inventons des options qui n’existent pas vraiment, et par là nous créons des décisions fictives. Il peut en effet être rassurant de croire que l’on a plus de marges de manœuvre que la réalité ne nous accorde. Qu’il est bon d’avoir l’illusion de choisir ce que les circonstances nous ont en fait imposé ! (1)
Un sujet qui décide flou, des options qui n’existent peut-être pas… Décidément la clarté de la décision commence à se brouiller de plus en plus. Mais je sens que vous pensez que ceci reste marginal et secondaire : le plus souvent, vous savez qui décide, et les options sont réelles.
Oui probablement, mais il reste encore deux composantes à examiner : le couple objectif/vision et l’analyse de la situation
(à suivre)

(1) Par exemple, une étude a soumis deux équipes travaillant en atelier, à des bruits aléatoires et pénibles. Dans la première équipe, personne ne pouvait rien faire pour lutter contre ce bruit ; dans la deuxième, chacun était doté d’un bouton avec lequel il pouvait arrêter le bruit. Les résultats ont été les suivants : les membres de la première équipe ont été fortement perturbés par ces bruits, alors que ceux de la deuxième pas du tout… et pourtant aucun d’eux n’avait appuyé sur les boutons de contrôle. Comme quoi, nous supportons ce sur quoi nous pouvons agir, beaucoup mieux que ce qui nous est imposé.

1 févr. 2013

POUR SAVOIR CHANTER DANS LE VENT GLACÉ

A Pékin (3)
Sur la muraille de Chine en novembre 2003.
L’air est glacial, environ une dizaine de degrés en dessous de zéro. Le vent vif vient en souligner les morsures. Le neige, tombée il y a quelques jours, recouvre le paysage et fournit un miroir aux rayons du soleil.
Tout autour de moi, un paysage de montagnes qui se chevauchent à l’infini. Pékin, qui n’est pourtant qu’à un peu plus de cent kilomètres, est bien loin. Aucun bruit, aucune pollution, et Dieu merci comme c’est l’hiver et que la température n’est pas clémente, il n’y a quasiment personne à part nous deux.
Sur le sommet de la montagne, une énorme chenille dort, immensément immobile. Caméléon de l’histoire, elle a su, pour se dissimuler, s’habiller des tons des pierres sur lesquelles elle repose. Un regard rapide ne prêterait pas attention à ses aspérités. Elle est pourtant bien là, sentinelle qui veille depuis deux mille ans, sur la tranquillité de l’Empire céleste.
Doucement, nous montons sur son dos, en prenant garde à ne pas la réveiller. La glace recouvre toutes ses aspérités qui se font marches. La progression est lente et difficile.
Au bout de quelques minutes, je me retourne pour m’apercevoir de la perspective qui se dégage. Dessous, glisse le dos de la chenille, pente vertigineuse. Au loin les montagnes se poursuivent. Sur certaines, je la vois qui se poursuit, animal mythique et infini. Les autres, nues, boudent, en regardant jalousement leurs sœurs habillées de la ceinture impériale.
Hai s'est tourné vers moi, et, levant les bras, me regarde suspendu. Fort de sa sinitude, il sait qu'il n'a rien à craindre de ce qui, depuis presque toujours, protège les siens. 
Me reviennent les mots de Dominique A : « On imagine pourtant très bien voir un jour les raisons d'aimer, perdues quelque part dans le temps. Mille tristesses découlent de l'instant. Alors, qui sait ce qui nous passe en tête ? Peut-être finissons-nous par nous lasser ? Si seulement nous avions le courage des oiseaux qui chantent dans le vent glacé ! »1

(1) Dominique A, Le Courage des Oiseaux