5 mars 2012

ON NE TRANSFORME PAS UN PAYS GRÂCE À LA MACROÉCONOMIE

Les candidats à l’élection présidentielle doivent quitter la mathématisation du monde, et rejoindre le réel s'ils veulent être crédibles et réellement changer les choses.
Tout le discours collectif est, sauf de rares exceptions, de nature macroéconomique : on ne parle que taux de croissance, PIB, taux d’inflation, taux de chômage, taux de création d’entreprises, taux de défaillance, pourcentage d’entreprises innovantes ou exportatrices, balance des paiements…
Or ce monde macroéconomique n’est qu’un monde fictionnel, une construction de l’esprit, une représentation du réel, une mathématisation des relations : je n’ai jamais croisé dans un café un taux de croissance, ni pris un verre avec un PIB, ni, au détour d’un carrefour, risqué d’écraser un pourcentage d’innovation quelconque, ou encore discuté avec une balance des paiements…
Le monde réel est celui des individus, de tous les êtres vivants et inanimés, de leurs relations et interrelations, de ces structures locales ou globales qui vont de la fourmilière à l’entreprise en passant par tous les écosystèmes et nos villes.
Ce monde qui est celui que nous habitons, celui qui nous rend heureux ou malheureux, autonomes ou dépendants, épanouis ou malades, a disparu du discours politique. Il n’est plus qu’une abstraction décrite par des chiffres, des statistiques et des moyennes.
De temps en temps, à l’occasion d’une crise, il émerge dans le débat public : là pour une émeute dans une banlieue, ici pour des salariés qui refusent la destruction de leur outil de travail, et ailleurs, ailleurs pour des familles ne pouvant plus se loger.
Et la vie continue... si l'on peut dire...
Mais ce construit théorique de la macroéconomie et des sciences dites sociales est de moins en moins représentatif de notre monde. Pour ceux qui en doutent, qu’ils se posent une question simple : si la macroéconomie et les sciences sociales étaient exactes, pourquoi aurions-nous des crises à répétition ? Est-ce que leur succession sans cesse renouvelée, voire même leur amplification, ne sont pas la meilleure démonstration de l’absurdité de cette mathématisation du monde ?
Cet envahissement du tout économique est récent, et a pris son essor essentiellement ces dernières années. Charles-Henri Filippi, dans son dernier livre, Les 7 péchés du capital, écrit très bien ces dangers. Il y insiste sur le danger de la « transformation de la rationalité » en une « aptitude à chiffrer toute chose. (…) La rationalité moderne par la simplicité même de sa définition, juge toutes les activités à la même aune : quel bien-être procurent-elles ? Au prix de quels moyens ? Le fait que tout devienne ainsi mesurable et comparable étend l’économique qui, de champ particulier des rapports sociaux, en devient l’interprète et la seule expression possible. »
Venant d’un banquier, encore à la tête de la filiale française d’HSBC, une des plus grandes banques mondiales, le propos prend tout son poids…
Cette « maladie » a envahi non seulement les structures politiques, mais aussi bon nombre de directions générales de grandes entreprises. C’est ce que j’ai été amené à dénoncer à de multiples reprises, et singulièrement dans mon livre, Les mers de l’incertitude : on ne peut pas diriger efficacement à coup de tableurs excel et de prévisions mathématiques !
Et rien ne change, bien au contraire. Je suis frappé comme tous les programmes et les discours des principaux candidats à l’élection présidentielle restent à ce niveau macroéconomique. Leur entourage n’est constitué que des théoriciens de l’entreprise et de l’économie. Se croyant comme des grands prêtres, ils me donnent l’impression de croire que l’on peut changer le monde par incantation (voir On ne change pas l’économie par incantation)
Parfois ces incantations vont dans le bon sens, comme par exemple l’appel de François Bayrou à plus de rigueur et à développer la production française, mais elles restent toujours théoriques et bien éloignées de la réalité de la vie. Comment concrètement François Bayrou veut-il procéder et quel lien concret avec la vie des entreprises ?
Quand comprendront-ils que la macroéconomie n’est ni un outil d’explication, ni un outil de pilotage, puisque la réalité se situe ailleurs, et qu’au mieux, elle ne fait que constater, a posteriori, les évolutions en agglomérant les données locales ?
Quand descendront-ils de leur piédestal pour se pencher sur des sujets concrets comme les délais de paiement et les modalités de transfert de propriété ?
Quand reparleront-ils du territoire réel dans lequel se déroule l’économie, de nos villes, nos banlieues et nos campagnes ?
Le Général de Gaulle, lors de son retour au pouvoir en 1958, ne s’était pas contenté de discours. Il avait lancé une politique nouvelle d’aménagement du territoire. Il avait agi concrètement et physiquement en modifiant la géographie de nos villes. Il avait lancé des actions industrielles structurantes.
En 2012, à l’ère de l’incertitude et de la globalisation, il serait illusoire et dangereux de vouloir copier à l’identique ce qui avait été fait plus de cinquante plus tôt. Notamment imaginer que c’est l’État central qui peut inventer une stratégie industrielle est une illusion.
Mais ce sont bien ces questions concrètes qu’il faut se poser, et auxquelles il faut apporter des réponses contemporaines : quelle nouvelle politique d’aménagement du territoire compte-tenu de la position de la France, de nos ressources et de la multiplicité des acteurs ? Quel rôle concret peut-jouer un État central et comment le mettre en œuvre ?

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