8 juin 2010

« SE CHANGER AVEC L’AUTRE, CE N’EST PAS SE PERDRE, ET CE N’EST PAS SE DÉNATURER »

Quand Édouard Glissant parle de la différence entre mondialité et mondialisation

Grâce à un échange sur AgoraVox suite à un des mes articles, j'ai eu connaissance d'une interview donnée par Édouard Glissant(1), le 14 février 2005 sur TV5(2)En voici un patchwork personnel…

« C'est bien de partir de l'endroit où l'on est né. On ne peut jamais faire abstraction du lieu, de son lieu. Je dis toujours que le lieu est incontournable. Mais, il est incontournable aussi dans le sens ou on ne peut pas en faire le tour, c'est-à-dire qu'on ne peut pas l'emmurer. On ne peut pas mettre des murailles, des murs autour de son lieu. Et, dans ce sens, on est appelé à connaître même par l'imaginaire tous les lieux du monde car tous les lieux du monde, aujourd'hui, aujourd'hui, dans les temps modernes, tous les lieux du monde se rencontrent, s'affrontent. Il y a des guerres, il y a des génocides, il y a des massacres, il y a des épidémies, il y a des famines, il y a des inondations, il y a des incendies, des tremblements de terre, mais il y a aussi quelque chose de nouveau qui est que nous avons tous le sentiment que nous vivons la même dimension que j'appelle mondialité. (…)

Je pense que plutôt que de l'universel, je parlerais de quelque chose de tout à fait nouveau pour nous dans le monde actuel, je parlerais de la relation. Je parlerais de la relation parce que, pour moi, la relation, c'est la quantité finie de toutes les particularités du monde, sans en oublier une seule. Et, je pense que la relation c'est l'autre forme d'universel, aujourd'hui. C'est notre manière à nous tous, d'où que nous venions, d'aller vers l'autre et d'essayer comme je dis souvent de se changer en échangeant avec l'autre, sans se perdre, ni se dénaturer. Et, je pense que sans cette révolution nous continuerons à souffrir les souffrances que le monde endure aujourd'hui. (…)

La mondialisation, c'est l'envers négatif de ce que j'appelle mondialité. La mondialisation, c'est le nivelage par le bas. C'est la monotonie. Tout le monde s'habille de la même manière, tout le monde a les mêmes réactions, tout le monde veut manger les mêmes produits universels (…) Combattre la mondialisation, on ne peut pas le faire si on s'enferme sur soi-même. Si je ne suis pas dans la mondialité je ne peux pas combattre la mondialisation. Si je me renferme sur moi-même, si je me renferme dans mes murs, dans ma maison, dans ma cité (…)

Et, c'est pourquoi, je pense que ce sentiment de mondialité qui est presque une poétique, mais qui est une poétique active, qui n'est pas une poétique contemplative, purement contemplative. C'est une poétique active qui permet l'échange et qui permet le change, et qui permet de se maintenir tout en devenant autre et ça, c'est difficile pour les peuples et les individus d'aujourd'hui. C'est difficile à comprendre parce que on a l'impression que si on devient autre, on se perd, on se dilue, on s'évanouit, on abandonne quelque chose, une part de soi qui était séculairement là et que ce n'est pas possible. Et pourtant, il faudra bien qu'on y vienne, à ceci, qu'aller à l'autre et se changer avec l'autre, ce n'est pas se perdre, et ce n'est pas se dénaturer. (…)

Et, par conséquent, il est possible de concevoir, n'est-ce pas, aujourd'hui que l'identité ce n'est pas un isolement, ni un renfermement, que l'identité ce peut être un partage. Il est possible. Et quand je dis, que le monde entier se créolise parce que c'est cela ce partage, c'est une créolisation, ça ne veut pas dire qu'il devient créole, n'est-ce pas? Ça veut dire que, il est… Il entre dans une période de complexité et d'entrelacements tels qu'il nous est difficile de le prévoir. Le monde est inextricable. (…)

C'est ça qui nous frappe. Qu'une brousse est à la fois une unité et une diversité. Une forêt, c'est des individus et c'est des individus ensemble, des individus qui ont quelque chose ensemble. Et, nous avons le même sentiment aujourd'hui qui est très fort que le monde et nous, c'est une unité-diversité. Si tu tues l'arbre, tu tues l'homme. Si tu tues la rivière, tu tues l'homme. Si tu tues la mer, tu tues l'homme. Et par conséquent, nous avons ce sentiment qui n'existait pas auparavant – auparavant, c'était un sentiment qui était réservé aux saints, aux poètes, aux innocents, etc. – c'est une affaire d'intuition du monde, d'intuition de la totalité-monde et c'est pourquoi, peut-être encore, les poètes sont les plus à même de pressentir cela et de le dire. »

(1) Pour savoir qui est Édouard Glissant
(2) Cliquer pour voir l'article in extenso

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