15 juin 2010

COMMENT PARTIR DU FUTUR POUR TIRER PARTI DE L’INCERTITUDE

Les quatre leviers d'action des Mers de l'incertitude

Voilà donc les dirigeants face cette question-clé : comment, en tenant compte de cette impossibilité de prévoir le futur, prendre aujourd'hui des décisions qui engagent l'entreprise au-delà cet horizon du flou ?
- Comment décider sans pouvoir prévoir et sans disposer d'une information  complète ?
- Comment dégager des rentabilités futures pour financer les sommes nécessaires à tout projet significatif ?
- Comment identifier les opportunités qui se cachent dans le flou, celles qui seront les leviers de la performance de l'entreprise demain ?
- Comment, au moment où les exigences du monde financier et des salariés en matière de sécurité sont croissantes, construire une croissance rentable et résiliente ?

Il y a deux pièges symétriques à éviter :
- Penser que finalement, on peut s'abstraire de l'incertitude : oui, le reste du monde est incertain, mais mon entreprise, protégée au sein de lignes Maginot, maîtrise son futur et s'organise en conséquence. Elle sait mieux que les autres, et le futur sera ce qu'elle a prévu.
- Renoncer à toute anticipation et confier sa vie à la chance : puisque rien ne peut être prévu de façon fiable, seule l'action immédiate compte. Le succès à terme ne sera que le résultat des actes immédiates et du hasard des rencontres. Il est illusoire de penser au futur. Éventuellement, on peut aller voir des cartomanciennes ou lire des horoscopes.

Je crois à une position apparemment paradoxale et résumée dans le sous-titre de mon livre : Diriger en lâchant prise.
Diriger, c'est sentir cette mer vers laquelle on peut aller, fixer des règles collectives qui cadrent et écartent, focaliser les efforts de tous pour tirer collectivement parti des opportunités décelées localement, aider à l'émergence d'une intelligence collective par la confrontation.
Lâcher prise, c'est savoir accepter l'incertitude en abandonnant l'idée de prévoir et planifier au-delà de l'horizon immédiat, ne pas vouloir tout contrôler et tout piloter depuis le sommet, ne pas se laisser emporter par le mouvement ambiant et mieux maîtriser son temps, accepter les intuitions.

Le propos de la deuxième partie de mon livre « Les mers de l'incertitude » est de montrer que ces deux leviers ne sont pas antagonistes, mais complémentaires. Pour cela, je développe quatre points(1) :
1. S'être mis en situation de pouvoir tirer parti de l'incertitude : l'attitude quotidienne, les formations reçues tant dans les écoles d'ingénieurs que commerciales ou économiques, et la peur du vide nous amènent trop souvent à chercher des certitudes, à partir de notre expertise pour lire une situation, à nous méfier de notre intuition, à mathématiser les situations… Tout doit donc commencer par le désapprentissage de pratiques et convictions acquises, l'apprentissage de comment faire le vide et être là sans a priori, le développement de la qualité d'attention pour dépasser les apparences et sentir les courants.
2. Partir du futur pour construire une stratégie résiliente : il ne faut plus partir du présent pour se projeter dans le futur, mais, au contraire, avoir l'audace d'imaginer le futur et partir de lui, car, au-delà de l'horizon du flou, il est impossible de savoir ce qui va se passer en partant du présent, au mieux on ne pourra que dessiner le champ des possibles sans avoir une idée de ce vers quoi une situation va évoluer. En univers incertain, il faut partir du futur en cherchant vers quelles mers, il est susceptible d'aller ; identifier, parmi ces mers possibles, lesquelles sont accessibles à l'entreprise ; analyser tout ce qui pourrait rendre caduques tant l'existence de ces mers que la capacité à les atteindre.
3. Développer une écologie de l'action(2) et un management durable : l'action doit reposer sur le suivi des effets complexes et multiples des actions entreprises, effets qui ne pourront jamais être réellement anticipés. Elle ne consistera pas à dérouler des plans détaillés prévus à l'avance, mais à se centrer sur l'immédiat en tirant parti au mieux des moyens dont on dispose et de tout ce qui advient : se confronter à l'intérieur de l'entreprise et avec l'extérieur pour ajuster les visions collectives et rester tous connectés à ce qui se passe vraiment ; mettre de la vie dans l'organisation et les structures, ce qui suppose un mélange d'ordre et de désordre ; agir dans la durée en veillant à garder du flou dans tous les systèmes.
4. Transformer les méthodes d'évaluation : ne demander des prévisions détaillées et chiffrées qu'en deçà de l'horizon du flou, c'est-à-dire la plus plupart du temps uniquement dans le cadre budgétaire ; ne pas se fier à des plans chiffrés à trois ou cinq ans, ni a fortiori en demander ; chercher à comprendre les dynamiques et ne pas porter de jugements seulement à partir de clichés instantanés ; tester la fiabilité et la résilience du projet de l'entreprise ; analyser comment elle est connectée à ce qui est susceptible d'advenir et comment elle s'est préparée à faire face à l'imprévu.

Dans les jours qui viennent, je vais vous donner un peu plus de détail sur le contenu de chacun de ces 4 points.

(1) Vous pouvez cliquer sur la photo pour avoir la vue du plan de la deuxième partie
(2) Expression reprise à Edgar Morin

1 commentaire:

Le Blog de Paule Orsoni a dit…

En théorie ,je comprends bien comment ça fonctionne et je conçois aisément la place accordée à l'incertitude comme en tout domaine.Pour mieux comprendre encore,il faut entrer dans le système de référence et c'est ce qu'il y a de plus difficile quand on est étranger au système.Mais la transversalité ne peut être que fructueuse...