19 nov. 2009

IMAGINER LE FUTUR ET ACCOMPAGNER LA MISE EN ŒUVRE DE SA VISION

Un long chemin fait d'ajustements successifs, d'obstination et de rythme

En 1983, j'ai acheté ma maison en Provence. Le gros-œuvre de la maison était en très bon état, mais l'intérieur était complètement à refaire. Pour le jardin – je devrais dire le terrain –, tout était à faire : à part la truffière, ce n'était que ronces et pruniers, une sorte de jungle, version maquis provençal. Au cours des six premiers mois, j'ai tout nettoyé et me suis retrouvé devant une feuille blanche, ou plutôt verte.
J'ai alors imaginé comment tout ceci pourrait devenir un jardin, me suis construit une vision de comment ce serait à terme. Je me suis assuré que c'était réaliste, compte-tenu du climat et du temps que j'étais prêt à consacrer. Compromis entre ce que je voulais, ce qui naturellement pouvait pousser là, et les moyens disponibles.
Depuis, cette vision s'est mise en œuvre et j'ai sculpté, au cours des années, plantes, arbres et terrain. Le début fut le plus facile : il suffisait de planter des arbres. Simplement il fallait faire attention à les imaginer grands et donc à ne pas les planter trop proches les uns des autres.
Le plus difficile a été d'accompagner leur croissance. J'écris « accompagner », car c'est l'arbre qui grandit, moi, je ne suis qu'un facilitateur. Au fil des années, j'ai appris à sentir les branches qu'il fallait couper, celles qu'il fallait conserver. Tailler un arbre n'est pas un acte logique et rationnel, c'est une affaire d'attention et d'intuition. Bien sûr, il y a quelques règles techniques de base à respecter, mais ce n'est pas vraiment l'essentiel. 
C'est d'abord une affaire d'esthétique et d'équilibre, comme les volumes d'une statue ou le jeu de couleurs d'un tableau. Pour réussir une taille, il faut savoir prendre du recul et s'observer agissant pour deviner les conséquences des gestes que l'on est en train d'entreprendre.
C'est aussi une affaire d'imagination : il faut se projeter dans le futur et imaginer ce que va pouvoir devenir cet arbre et ceux qui l'environnent. Chaque entaille faite aujourd'hui est porteuse de ce futur implicite qui est inscrit de façon indélébile dans ce choix.
C'est enfin savoir respecter les rythmes de la nature. Inutile de vouloir brusquer les choses ou de chercher à faire naître une branche là où c'est impossible. Tailler ce n'est pas créer, c'est accompagner la vie et choisir entre des possibles préexistants. 
Ce sont ces tailles répétées années après années qui ont permis à ce jardin d'être aujourd'hui en ligne avec ce que je voulais.

Mettre en œuvre une stratégie, c'est aussi un long chemin, fait d'ajustements successifs, d'obstination et de rythme. 
Au moment du lancement de cette stratégie, on sait quelle mer on vise, on connait les chemins qui peuvent permettre de l'atteindre, on a identifié les ruptures potentielles les plus dangereuses, on sait précisément comment on va commencer, après on verra ! Aussi, la première chose à ne pas manquer, c'est de coller au plus près du réel.

2 commentaires:

DMF49 a dit…

Cet edito me paraît bien illustrer ce qui dans d'autres approches serait traduit par équilibre entre agir et non-agir.
Dominique

Robert Branche a dit…

merci de votre commentaire. Cet article va être repris au sein de mon prochain livre (sortie prévu pour mars ou avril 2010). Il sert précisément d'introduction à un chapitre dans lequel j'explique ma vision de l'action, et de cet équilibre entre "agir et non-agir"