20 avr. 2009

NON, LES FRANÇAIS NE SONT PAS LES PROPRIETAIRES DE LA FRANCE

Protectionnisme ne rime pas avec nationalisme, mais avec ouverture et échange. Plus de nationalisme n'apporterait que moins de protections réelles.

Je marche depuis plusieurs heures dans Pékin. Je laisse mes pas me guider au hasard. Je n'ai jamais trop aimé les guides, je n'aime pas que l'on me raconte les histoires avant que je ne les vive, je veux pouvoir rester surpris.
Quelle importance si je me trompe ou si je « manque » ce qu'il faut « absolument » avoir vu ? Comment pouvoir m'imprégner d'une situation si je ne fais pas d'abord le vide en moi ? Pour découvrir, il faut se penser comme un creux, un vide, une possibilité qui vont se trouver remplis des rencontres. Savoir lâcher-prise.
Donc je suis à Pékin – c'est mon 5ème séjour – et tout à coup, une évidence m'apparaît : l'absence de métissage, ou plus précisément l'absence ou la quasi-absence de personnes venant hors de la Chine. Quel contraste avec nos villes occidentales : Paris, Londres, Berlin, New-York ou Los-Angeles sont devenus des villes cosmopolites où toutes les origines se télescopent.
Là à Pékin, rien de tel. Je repense aussi à mes marches à Dakar, Delhi. Là-bas non plus, il n'y a pas le brassage de nos villes.
Je ressens notre métissage non pas comme un risque, mais comme une richesse et une porte ouverte vers de nouvelles intelligences et de nouvelles possibilités issues de ces mélanges. Notre force en Europe ou aux États-Unis vient de ce mélange. Une des grandes faiblesses de la Chine est sa « fermeture » relative qui limite sa créativité et sa capacité à évoluer dans le futur.
Mais, notre métissage ne sera porteur que si nous ne cantonnons pas « ceux qui viennent d'ailleurs » au ramassage de nos ordures, à la plonge ou à l'épluchage des légumes dans nos restaurants ou les travaux de force dans le bâtiment. Il ne sera pas non plus porteur si chaque communauté s'enferme dans des Chinatown, Little Italy ou « Ici 100% Français ».
Il suppose que nous acceptions l'autre et que nous ne le voyions pas comme le rival, celui qui vient prendre notre emploi – ici ou ailleurs –. L'autre est celui qui a une expérience différente, un regard nourri par son origine et sa culture, une énergie propre. L'autre est celui avec lequel ma pensée, ma compréhension du monde et mon imagination vont être décuplés.
J'entends tout autour de moi des discours de craintes et d'appel au protectionnisme. Mais derrière ce beau mot de « protectionnisme » – qui peut être contre les protections ? –, se cache l'hydre du nationalisme et de l'exclusion.
Vous voulez vraiment revenir au nationalisme ? Qu'allez-vous faire alors de tout notre métissage actuel ? Vous allez renvoyez les millions d'asiatiques présents en France ? Et ceux venus d'Afrique ? Ou vous préférez les mettre dans des camps pour nous protéger ? Vous croyez vraiment que cela va vous protéger ? C'est cela le protectionnisme ?
Ou comme dans des propositions récentes, vous voulez que l'on se protège des importations venant d'Asie ? Une taxe à l'entrée fonction de l'écart de coût salarial ? Un des intérêts d'une telle mesure serait de renforcer notre culture bureaucratique et de créer un nouveau corps de fonctionnaires pour gérer cette « usine à gaz ». Car, comment voulez-vous mesurer réellement cet écart ? De plus, la plupart des produits sont fabriqués en des endroits multiples. Quelle référence prendre alors ? Le lieu de l'assemblage final ? Mais si ce n'est pas l'étape où se crée le maximum de valeur ajoutée, est-ce la bonne idée ?
En admettant que l'on mette en place un tel système, comment imaginer que les autres continents ne vont pas faire de même ? Le risque de récession mondiale ne sera qu'accru, et celui d'une conflagration aussi…
Non vraiment, je ne crois pas que nationalisme rime avec protectionnisme. Nationalisme rime avec appauvrissement des plus faibles, perte de richesse pour l'humanité et guerre.
C'est l'acceptation du métissage et des connexions multiples qui peut permettre un vrai protectionnisme. Sur les bases de cette acceptation, on pourra réfléchir aux systèmes de protection nécessaire. Protectionnisme rime avec ouverture et échange.
Tout ceci ne peut pas se faire en un jour, un mois ou un an. Nous allons avoir devant nous des périodes troublées. Se réfugier dans le nationalisme ne fera qu'accroître les troubles et freiner le vrai protectionnisme.
Finalement, notre société, nos sociétés sont des corps vivants qui grandissent, évoluent et changent d'horizon.
Pour un être humain, le premier horizon n'est que celui du sein de sa mère et de la chaleur du regard de sa famille immédiate. Puis progressivement par étape, il va élargir son cercle initial et, à l'âge adulte, pouvoir s'hybrider avec le dehors.
Il en est de même pour nos sociétés. Elles sont nées dans des cavernes, ont ensuite grandi dans des villes et des nations. Elles doivent aujourd'hui s'émanciper, s'hybrider pour atteindre un nouveau stade d'intelligence collective.
Ce n'est pas parce que nous sommes nés en France que la France nous appartient. En tant que « Français d'origine », nous sommes porteurs d'une culture, d'un point de vue sur le monde et d'une histoire. Notre responsabilité est d'avoir le courage de nous ouvrir pour les hybrider avec celle des autres.


Sur ce même thème, lire :

4 commentaires:

Yves a dit…

Il manque dans le raisonnement la prise en compte d'un facteur essentiel : le temps. Un système d'irrigation et d'apport de vie a une utilité évidente. Un barrage qui cède, sûrement pas. Or on en est à ce stade en matière de concurrence. Les distorsions sont tellement fortes qu'elles détruisent tout l'emploi ici : produits moins chers, chômeurs et retraités qu'on ne saura pas indemniser et qu'on détruit psychologiquement. Pour ce qui est du Gatt et d'autres grandes instances internationales, le pouvoir de fait n'appartient plus aux Etats-nations depuis bien longtemps, mais à de très grandes mutinationales qui se servent de ces instruments pour faire prévaloir leur intérêt propre, et cela, on le constate maintenant, au prix de destructions colossales et irréversibles du corps social dans nos pays comme dans les pays pauvres. Il existe une très bonne littérature sur ce thème et notamment les livres de Jean Ziegler

Robert Branche a dit…

Effectivement le facteur "temps" est un élément essentiel qu'il faut intégrer. Dans mon article, j'ai choisi de me centrer sur l'importance d'accepter le métissage et de savoir en tirer parti. Nous sommes effectivement face à des périodes très "troublées" (c'est un euphémisme), mais comme je l'indiquais, ce n'est pas à coup de nationalisme que l'on va mieux les passer.
Oui la solution ne peut pas passer par un pouvoir donné ou laissé aux entreprises. Il est naïf de penser qu'elles vont prendre en compte des impératifs à long terme (comme ceux de l'environnement) ou vont développer des solidarités (ce n'est pas leur rôle et leur logique). Il est donc urgent de mettre en place des instances politiques transnationales. C'est sur ce terrain que la "France" pourrait prendre de vraies initiatives en acceptant une baisse réelle du pouvoir national...

cyrille a dit…

La France n'appartient pas aux français
L'Algérie n'appartient pas aux algériens
L'Afrique n'apparteint pas aux Africains

Allo? ah, on me signale que cela ne vaut que pour la première phrase, les deux autres étant racistes, d'accord, je retourne apprendre ma leçon

Robert Branche a dit…

Aucune des trois n'est raciste. Simplement je crois qu'il faut que nous apprenions à vivre dans un monde fait de mélange où chacun dépasse la logique de propriété d'un sol. Mon propos ne s'appliquait bien sûr pas uniquement à la France : aucun pays n'appartient à ceux qui y sont nés