23 avr. 2024

JE ME SOUVIENS TRÈS BIEN QUE...

Siri Hustvedt dans son livre, la Femme qui tremble, illustre la fragilité de notre mémoire et notre capacité à sculpter nos souvenirs :

« L’un de mes tout premiers souvenirs date de quand j’avais quatre ans. Cela se passait chez ma tante, à Bergen, en Norvège, pendant un repas en famille. Les principales composantes visuelles de l’incident sont la table familière, la salle de communes familière, et sa fenêtre donnant sur le fjord. Je revois clairement cette pièce dans ma tête car, treize ans plus tard, j’ai habité chez ma tante et mon oncle, dans cette maison. (…) 

Je m’approche de ma cousine et lui tape le dos pour tenter de la consoler. Les grandes personnes se mettent à rire et d’humiliation brûlante me saisit. Ce souvenir ne m’a jamais quittée. (…)

L’erreur que j’ai faite ne concerne pas mon émotion mais l’endroit où je me trouvais quand mon orgueil a été blessé. Il est impossible que cette atteinte à mon amour propre ait eu lieu dans la maison dont je me souvenais parce que, lorsque j’avais quatre ans, cette maison n’existait pas encore. J’ai replacé ce souvenir à un endroit que je pouvais me rappeler, plutôt qu’à celui que j’avais oublié. (…) 

J’avais besoin, pour garder l’évènement, de l’enraciner quelque part. Il lui fallait un cadre visuel, sans quoi il serait parti à vau-l’eau. »

12 avr. 2024

MÉMOIRE

Se souvenir, c’est rappeler les pièces d’un puzzle,

Et reconstruire ce qui était advenu.

Comme on peut.

 

Des pièces manquent, d’autres sont déformées.

Aussi on bouche les trous,

On redécoupe afin de pouvoir assembler.

 

Si demain on rappelle le même souvenir,

Il revient avec les déformations faites,

Avec ce qui a été ajouté ou modifié.

 

Ainsi à chaque fois que je me souviens,

Je reconstitue et recrée.

Ma mémoire imagine et invente.

 

Comment savoir le décalage sédimenté ?

Seul, c’est impossible.

Avec les faits et les autres, peut-être.

6 avr. 2024

DEHORS DEDANS

Ma membrane me limite et me définit.

Elle retient ce qui me constitue.

Un dehors et un dedans.

Un je et des eux.

 

Ma membrane est poreuse.

Avec elle, j’échange et m’associe.

Flou du dehors et du dedans.

Des nous.

 

Des frontières qui assemblent tout en définissant,

Des peaux qui cernent tout en réunissant.

Étranges parois sans lesquelles rien n’existerait.

Des vides et des pleins.

21 mars 2024

PATONG

Lit, fauteuil, eau.

Couché, assis, nageant.

Jour après jour,

Métronome du temps.

 

Jalons identiques,

Monotonie des successions,

Plaisir hypnotique,

Suspension du temps.

 

Ne rien changer,

Ne rien attendre.

Vivre arrêté,

Vive en dehors du temps.

10 mars 2024

CLOSER TO YOU

Viens là, oui là.


Contre moi, tout contre moi.

Et toi, toi aussi

Closer to you

 

Marée humaine,

Fourmilière,

Chaleur humaine.

Closer to you.

 

Glisser sur la vie,

Rebondir l’un sur l’autre,

S’aider et se combattre.

Closer to you

 

Tu cours plus près de moi.

J’ai peur et envie,

Peur et envie de toi.

Closer to you…

9 mars 2024

PHOTOSHOP CÉRÉBRAL

Je vois, entends, touche, sens, goûte.

Avec mes cinq sens,

Plongé dans le réel,

Je décide.

 

Du moins, je le crois.

 

Mais je ne vois rien, ni n’entends, touche, sens ou goûte.

Avec mes cinq sens,

Je nourris mes neurones.

Ni plus, ni moins.

 

Et mon cerveau se met au travail.

 

Fort de mon vécu, mes succès, mes échecs,

Il construit ce qui parait plausible, probable.

Des informations brutes, il élabore une interprétation.

Photoshop cérébral.

 

Et voilà ce que je vois, entends, touche, sens, goûte.

 

À partir de mes données sensorielles et de mon expérience,

J’anticipe et rêve le monde avant de le vivre.

Inconsciemment, au profond de moi-même,

Se crée une vision de ce qui devrait ou pourrait arriver.

 

Ainsi va ma vie.

8 mars 2024

DES JEUX DE MOTS QUI N’EN SONT PAS

Au travers de mes mots,
Je rêve, imagine, élabore des plans.
Langage, support de ma pensée.
Écrire pour dessiner en moi,
Et me parler à moi-même.

 

Au travers de nos mots,

Je t’écoute, m’exprime, échange.

Langage, support de notre communication.

Écrire pour dessiner en toi,

Et parler en toi-même.

 

Jamais tu n’auras pas accès à ce que je pense,

Juste à mes mots et au sens que tu leur donnes.

Et pourtant, nous nous parlons,

Et tentons de nous comprendre.

Imparfaitement, un peu, un peu plus…

 

Langage, affaire privée et bien collectif,

Source de relation intime et partagée ?

Imaginaire et échange,

Intelligibilité et malentendu.

Naissance des je et des nous.

 

Aussi les mots sont-ils trop sérieux pour en jouer !

6 mars 2024

NEUROMONDE

Dans ma caverne, je me nourris

De ce que je vis et ai vécu,

De ce que j’imagine et ai imaginé,

De ceux que je touche,

Du récit de ma tribu, de leurs expériences et de leurs rêves.

 

Avec mes livres, je me nourris

D’un lointain temporel et physique,

De temps passés inaccessibles,

De ce que je ne vois, ni ne touche,

De ceux qui me touchent,

Du récit du monde, de leurs expériences et de leurs rêves.

 

Avec internet, je me nourris

De présents infinis et sans limites,

De pensées et regards inconnus,

De chimères digitales,

De ceux qui m’émeuvent,

Du cauchemar du monde, de ses excès et de ses rêves.

 

Aujourd’hui je suis un migrant numérique.

Mon corps est là, mon cerveau partout.

Je suis seul, et connecté à tous.

Mon proche n’est plus voisin.

Je vis dans le Neuromonde.

 

(Mon blog s'appelle Neuromonde et ce n’est pas une coïncidence…)

5 mars 2024

ILLUSION

L’un après l’autre, les arbres se réveillent.

De tendres excroissances naissent.

Esquisses de futurs prometteurs,

Promesses de nouvelles croissances.

 

Partout, des fleurs se parsèment.

Au bout des branches,

Au milieu des herbes,

Explosion de couleurs.

 

Apparence de nouveautés,

Illusion de créations,

Tour de passe-passe.

Tromperie.

 

Reproduction du passé,

Boucle annuelle et sans fin,

Printemps, réplique de lui-même.

La vie tourne dans son bocal.

3 mars 2024

RELEASE YOURSELF

Bloqué,

En boucle sur moi-même,

Impossible d’en sortir.

 

Changer de lieu,

Me décentrer,

Me voir du dehors.

 

Jouer des rencontres,

Réapprendre à regarder,

Savoir s’émerveiller.

 

Pour enfin me rasseoir,

Apaisé et serein,

Et boire à la vie qui coule.